Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/828

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
824
REVUE DES DEUX MONDES.

très habiles voleurs, et rien ne pourrait défendre un étranger de la dextérité de leurs doigts, si ce n’était le respect religieux qu’ils ont pour les droits de l’hospitalité. » Ailleurs encore, il nous dit que « leurs bateaux, à raison de leur agilité, étaient un sujet de terreur pour les marins que l’orage poussait vers les côtes de la Circassie, parce que les peuples du Caucase étaient de très redoutables pirates. » C’est la Russie qui a à peu près détruit cette piraterie, et, en vérité, nous ne pouvons pas lui en savoir mauvais gré.

Quant au commerce entre les Circassiens et les Turcs, que cette puissance entrave, à la grande indignation de M. Spencer, ce n’est, après tout, qu’un commerce d’esclaves. Les Turcs tenaient surtout à leurs rapports avec les pays du Caucase, à cause des belles femmes qu’ils y achetaient. La Circassie, la Géorgie et la Mingrélie leur en fournissaient considérablement autrefois. Il paraît que, du temps de Chardin, la Mingrélie seule payait un tribut annuel de douze mille jeunes garçons et jeunes filles. Cette denrée a immensément diminué depuis que cette province et la Géorgie font partie de l’empire russe, et depuis que la Circassie est bloquée. Rien n’est plus plaisant que les diverses impressions de M. Spencer, au sujet de cette vente des femmes. Étant à Constantinople, il va visiter le bazar des esclaves, et il est révolté de voir ces pauvres créatures mises en vente comme du bétail, et subissant le dégradant examen des acheteurs. « La seule idée, dit-il, de vendre un être immortel, sa vie, sa liberté, tout enfin, est vraiment révoltante. Je me sentais honteux d’être homme, honteux d’être classé parmi des êtres capables de commettre un tel crime contre l’humanité, et jamais je ne fus plus glorieux du nom d’Anglais qu’en ce moment ; j’étais fier de ma généreuse patrie, qui a sacrifié des millions pour faire disparaître cette souillure de la barbarie partout où flotte son pavillon. » Cette noble indignation se calme beaucoup quand il est en Circassie ; la vente des femmes, à laquelle se livrent ses amis du Caucase, lui paraît même avoir quelques bons côtés. « Un père vend sa fille, dit-il, et un frère sa sœur, ce qui est d’autant plus étonnant qu’un Circassien regarde sa liberté comme le premier de tous les biens. Mais on ne voit là qu’un moyen honorable de pourvoir à leur établissement, et la belle dame qui a passé sa jeunesse dans le harem d’un Persan ou d’un Turc opulent, quand elle revient dans son pays, avec toute sorte de jolies parures, excite toujours dans l’esprit de ses jeunes amies le désir de suivre son exemple ; aussi sautent-elles sur le navire destiné à les emmener, peut-être pour toujours, loin de leur patrie et de leurs amis, avec