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DES INTÉRÊTS NOUVEAUX EN EUROPE.

la solide raison de M. de Carné ne prît pas de nouvelles forces et de nouveaux développemens. Les intelligences hautes et fermes n’assistent pas inutilement au spectacle des choses ; le temps ne fuit pas pour elles comme une onde vaine, et les évènemens sont des leçons. De la restauration, qui n’était plus, en reportant ses regards sur la nouvelle Europe que la révolution mettait en branle, M. de Carné put agrandir ses vues politiques en les affermissant ; il comprit que l’insurrection de Paris n’était que le signe d’un mouvement européen, et le fait de 1830 devint pour lui plus naturel à mesure qu’il le trouva plus général. Alors tout ce qui pouvait encore rester chez l’écrivain politique d’irritation et de regrets s’évanouit : les esprits droits ne peuvent garder rancune aux évidences historiques, et M. de Carné se mit à décrire les rapports internationaux et diplomatiques de l’Europe, tout-à-fait libre d’anciens souvenirs, reconnaissant enfin la révolution de 1830 et le gouvernement qu’elle a fondé, non-seulement comme des faits nécessaires, mais comme des faits légitimes. Nous ne saurions trop nous féliciter de cette adhésion complète aux directions du siècle et du pays, de la part d’un homme dont l’esprit est éminent, le cœur noble, le patriotisme intelligent et sincère. Notre satisfaction est d’autant plus intime, que les travaux de M. de Carné n’expriment pas seulement une pensée isolée, mais le besoin qu’éprouvent les hommes jeunes qui ont pu regretter quelque temps la restauration, d’appliquer leurs efforts et leurs talens aux intérêts présens, à la grandeur de la France. Les révolutions de 1789 et de 1830 n’appartiennent pas seulement à ceux qui les ont désirées et qui les ont faites ; elles appartiennent à tous, même à ceux qui, pendant un moment, ont pu les haïr ou les combattre. Dans la grande famille il n’y a ni vaincus, ni vainqueurs, ni privilégiés, ni retardataires ; il n’y a que des égaux et des frères. N’oublions pas d’ailleurs que, dans le mouvement de décomposition des partis et de rénovation d’idées qui s’accomplit parmi nous, le véritable lien est la solidarité des générations. C’est aux hommes jeunes à se chercher, à se comprendre, et à ne plus permettre à de vieux mensonges d’obscurcir la vérité et les destinées du pays.

Le livre de M. de Carné, qui a pour titre : Des Intérêts nouveaux en Europe depuis 1830, s’ouvre par une appréciation de l’état des partis et du pouvoir en France. Avant de parcourir la circonférence, l’auteur a voulu préciser le centre du mouvement qu’il allait étudier. La complète indépendance de l’écrivain multiplie sous sa plume des jugemens d’une sévérité piquante. Ainsi il montre le parti légitimiste