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DES INTÉRÊTS NOUVEAUX EN EUROPE.

fortune que les deux peuples de France et d’Angleterre ratifiaient l’alliance en se donnant la main.

L’alliance anglaise a donc été et est toujours dans la nature des choses ; mais elle n’enchaîne pas la France aux intérêts exclusifs du commerce anglais, et elle ne saurait nous interdire l’appréciation saine des affaires européennes. Nous savons très bien que l’Angleterre, même lorsqu’elle le voudrait, ne saurait mettre aujourd’hui une armée contre nous sur le continent ; qu’elle ne saurait soudoyer une nouvelle coalition ; qu’enfin elle ne pourrait nous faire un mal positif sans un immense effort qui l’exténuerait. D’ailleurs il n’y a plus d’intérêt à ces luttes de géant. Pitt et Napoléon les ont épuisées ; ces deux hommes ont donné une dernière et terrible expression aux passions du moyen-âge : la politique de la liberté moderne a d’autres sentimens et d’autres intérêts.

C’est donc surtout sur des convenances morales, sur la conformité d’origine pour les deux maisons royales, sur la conformité d’institutions pour les deux pays, que repose l’alliance de la France et de l’Angleterre, alliance qui laisse à chacun des deux peuples sa sphère d’action et d’intérêts. L’avenir et la fortune de la France ne sont en question, comme l’a fort bien senti M. de Carné, ni au cap de Bonne-Espérance, ni dans l’Inde, ni aux Antilles, ni à Constantinople ; et la France est ainsi constituée, qu’elle n’a point à redouter pour les autres peuples ce qui fait leur force et assure leurs développemens légitimes. Nous sommes heureux, en terminant cet examen des travaux de M. de Carné, de nous rencontrer avec lui dans un même sentiment aussi profond et aussi vrai, la conscience de la liberté morale et politique dans laquelle vit la France à l’égard des autres peuples ; il est beau, vis-à-vis du monde, de n’avoir rien à envier ni rien à craindre.

Pour conclure sur le livre des Intérêts nouveaux en Europe, nous dirons que la raison nous semble faire le fond du talent même de l’auteur, qui cherche avant tout le vrai avec une bonne foi complète et une sagacité courageuse, Quant au style, il est sain, sensé, politique ; l’imagination y perce quelquefois par des accidens, par des peintures qui ne sont pas sans charmes et qui laissent entrevoir dans l’écrivain un compatriote de M. de Châteaubriand. Ces qualités précieuses font un devoir à M. de Carné de veiller sur lui-même d’imprimer à son exécution quelque chose de plus précis, de plus châtié ; aux formes de son style, plus de transparence ; aux mots dont il se sert, une propriété plus classique. Dans ce siècle, où les débats politiques occupent la scène, travaillons à ce que la langue française reste