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MÉLANCTHON.

des hommes et ce jeu de hasard qu’on appelle la faveur du public. Un jour peut-être le loisir me sera plus doux après ce labeur[1]. »

Il apprit bientôt par Reuchlin que l’électeur l’appelait à Wittemberg, et lui promettait bienveillance et protection. « Va, lui écrivait son maître en lui citant le texte des promesses faites à Abraham ; sors de ton pays, de ta parenté, de la maison de ton père, et viens dans le pays que je te montrerai, et je te ferai la source d’une grande nation, et je te bénirai, et je rendrai grand ton nom. Voilà, ajoutait Reuchlin, ce que je présage qu’il t’arrivera, ô Philippe, mon ouvrage et ma consolation ! » Il lui recommanda de hâter ses préparatifs, d’envoyer ses affaires par une voiture, et, après avoir été embrasser sa mère et la sœur de Reuchlin, d’accourir à Augsbourg, où était l’électeur, afin de ne pas partir sans lui. « Pour que tu juges, lui dit Reuchlin, à quel point tu es agréable aux personnes de la cour et aux chambellans du prince, je t’envoie une lettre de Spalatin qui est accoutumé d’aller dans la voiture ou d’être porté dans la litière du prince. » Et plus loin : « Hâte-toi, car les dispositions des princes sont changeantes. » Et faisant allusion aux jalousies dont il avait eu à souffrir à Tubingue : « Nul n’est prophète dans son pays[2]. »

Mélancthon quitta Tubingue au commencement d’août 1518, peu regretté des professeurs, que son départ rendit à leurs habitudes. Un seul, Simler, de qui Mélancthon avait appris le grec, le plus habile de tous, et pour cette raison le plus désintéressé, se fit honneur en disant que ce départ était un malheur pour la ville de Tubingue, et qu’on n’y avait pas compris jusqu’où allait le savoir de celui que leur enlevait Wittemberg[3]. »

Mélancthon alla saluer, à Augsbourg, l’électeur Frédéric et son conseiller Spalatin, et après quelque séjour à Nuremberg, où il fit en passant de nobles et solides amitiés, il se rendit à Leipsick. « Le 20 août, écrivait-il vingt-huit ans après, je vins pour la première fois à Leipsick, ignorant, jeune homme que j’étais, combien est douce la patrie. » Le collége académique de cette ville lui offrit un repas d’honneur. À chaque plat qui paraissait, un des professeurs se levait et adressait une harangue à Mélancthon. Celui-ci répondit aux deux premières ; mais à la troisième, les convives étant nombreux, et les plats menaçant de se succéder long-temps : « Illustres hôtes,

  1. Corpus reformatorum, no 15.
  2. Ibid., liv. I, no 16.
  3. Éloge funèbre de Mélanchthon, par Jac. Heerbrand.