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DU GÉNIE DE L’ART.

la poésie grecque dans Athènes, la ville de la beauté, vient le développement extrême et anormal dans Alexandrie, la ville du mysticisme.

Non-seulement la poésie a des rapports généraux avec tous les autres arts : elle se divise en plusieurs genres, qui ont chacun une analogie particulière avec l’architecture, la sculpture ou la peinture. Premièrement, sous sa forme la plus instinctive, elle est lyrique. C’est le premier cri de l’humanité éveillée dans l’infini. Elle chante l’Éternel à l’exclusion des temps, le Dieu sans la créature, l’être en soi plutôt que les êtres en particulier. C’est par là que toute civilisation commence ; poésie du temple et de la cathédrale, la seule que voulût admettre Platon dans sa république, elle s’assortit à l’architecture religieuse. Ses stances s’élèvent comme des colonnes sacrées. Elle est faite pour retentir dans le sanctuaire ; c’est là qu’elle est à sa place et qu’elle a toute sa valeur. Ce poème est celui de l’ordre sacerdotal ; là où la théocratie a manqué, comme dans Rome, cette poésie de l’hymne a été artificielle, ou n’a pas même essayé de paraître.

En second lieu, la poésie est épique. Elle érige l’homme sur le piédestal ; elle l’adore à demi. Qu’est-ce à dire, si ce n’est qu’elle considère ses personnages au même point de vue que la statuaire ? Elle les grandit, elle les exhausse, elle leur donne douze coudées. Aussi la plupart des lois de l’une s’appliquent-elles à l’autre. Il ne suffit pas à l’épopée que ses personnages soient grands ; aidée du merveilleux, elle en fait des demi-dieux. Comme, au reste, ce genre de poésie vit surtout de souvenirs, il naît principalement dans les époques fécondes en traditions de famille. Or, quel genre d’esprit perpétue le mieux les traditions ? N’est-ce pas l’esprit aristocratique ? Aussi, examinez l’un après l’autre tous les héros de l’épopée héroïque ; vous n’en trouverez pas un seul qui n’appartienne à la caste militaire ou noble. Achille, Énée, le Cid, Arthus, Charlemagne, aucun d’eux n’est sorti de la classe inférieure du peuple. L’épopée héroïque a été le chant de la classe militaire des Indiens, des Grecs, de la féodalité chrétienne. C’est le poème naturel de toute aristocratie.

Au contraire, le poème dramatique est l’œuvre de la démocratie. Partout le drame a grandi avec elle. Le théâtre se développe en Grèce dans la démocratie des Ioniens, plutôt que dans l’aristocratie des Doriens. Chez les modernes, il éclate, non pas au sein de la race féodale, mais dans la suprême égalité de l’église. Les mystères se jouent d’abord dans les cathédrales. Composée pour les barons, l’épopée du moyen-âge a surtout été chantée et psalmodiée dans les châteaux forts. Le drame a toujours été fait pour le peuple. En Orient, chez les Indoux, on l’excluait du rang des livres sacrés. En Occi-