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craintif parce qu’il était pacifique, et inquiet pour sa personne, quand il ne l’était que pour la cause. Il en donna une preuve, qu’aurait pu lui envier Luther. Après la lecture publique de la confession, il est appelé tout à coup par le cardinal Campège. On lui dit que l’empereur jettera plutôt tous les états dans la guerre que de supporter cet outrage. En même temps plusieurs personnes d’autorité le pressent avec menaces de céder et de faire céder ses amis. « Nous ne pouvons céder, dit-il, ni déserter la vérité ; mais nous prions nos adversaires, au nom de Dieu et du Christ, de nous pardonner et de souffrir que nous gardions notre croyance. — Je ne le puis, je ne le puis, interrompit Campège ; les clés sont infaillibles. — Eh bien ! reprit Mélancthon, nous remettrons notre cause entre les mains de Dieu. S’il est pour nous, qui sera contre nous[1] ? »

Mais cet éclat ne lui convenait pas. Homme simple et ennemi du bruit, ne tirant aucune force de son imagination, et n’ayant pas, comme Luther, une tête « où tourbillonnaient les vents, » il ne soutenait pas long-temps même le courage vrai qu’il montra devant Campège, pour peu que ce courage prît l’air d’un rôle. Au sortir de ces scènes violentes, après des entrevues où Campège et d’autres le faisaient appeler, vers le milieu de la nuit, comme pour profiter du trouble de ses sens, il rentrait chez lui accablé et en proie à une mélancolie qui se communiquait à ses coreligionnaires. Dans cette espèce de passion, pour parler le langage énergique de l’un d’entre eux, tout ce qu’il pensait, disait, écrivait ou faisait, ne rendait pas la cause meilleure. C’est dans un de ces accès de désespoir qu’il écrivit au cardinal Campège une lettre, dissimulée par ses amis, omise ou très altérée dans les recueils, presque niée par lui, quoiqu’elle soit marquée de ses plus nobles qualités, où il affaiblissait, sans toutefois la désavouer, une autre lettre écrite officiellement le même jour au cardinal par les princes, et qu’il avait très probablement rédigée. « Nous n’avons, lui écrit-il, aucun dogme qui diffère de l’église romaine. Nous avons même réprimé plusieurs novateurs, pour avoir essayé de répandre des doctrines pernicieuses, et il en existe des témoignages publics. Nous sommes prêts à obéir à l’église romaine, pourvu qu’usant de cette clémence qu’elle a toujours montrée envers les peuples, elle consente, soit à dissimuler, soit à per-

  1. Oraison funèbre de Mélancthon, par Vitus Winshemius. — On a fait de cette belle parole : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » la devise de Mélancthon. Tous ses portraits portent cet exergue.