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ne fasse des concessions qui le brouillent avec Luther ; que les Français, peu soucieux de se convertir, ne cherchent à se jouer de lui ; que son influence ne soit nulle, même sur les mécontens de ce pays, lesquels sont plutôt érasmiens qu’évangéliques ; qu’enfin on ne veuille se servir de Mélancthon pour lui faire approuver le second mariage du roi anglais[1]. » On ne voulait pas qu’il allât en France achever de s’adoucir jusqu’à la connivence. Luther intervint sans succès : il approuvait l’idée de ce voyage, soit qu’il y vît un moyen de faire cesser au moins pour un temps le malaise qui le séparait de Mélancthon, soit qu’il pensât que le moindre point que la réforme pût gagner en France vaudrait bien toutes les concessions dont Mélancthon l’eût acheté.

Barnabé de Voray, revenu sans Mélancthon, trouva le roi tout entier à ses préparatifs de guerre contre Charles V. François ne s’occupa plus de cette affaire, et la persécution continua.

À la suite de cette négociation, Mélancthon alla à Tubingue, moitié pour rétablir sa santé, moitié pour échapper à des disputes pour lesquelles il prenait, d’ailleurs, si peu la peine de dissimuler son peu de goût, que Camérarius se crut obligé de lui recommander plus de précautions dans sa correspondance. On donna des motifs plus particuliers de ce voyage. On disait qu’il s’éloignait pour ne pas revenir ; on colportait des lettres où il était parlé d’un nouveau dissentiment entre Mélancthon et Luther. Ces bruits étaient fondés, mais la crainte des uns et l’espérance des autres les exagéraient.

IX. — QUERELLE DE MÉLANCTHON AVEC CORDATUS ET JACQUES SCHENK. — CONFÉRENCES DE SMALCALDE.

Parmi les professeurs de l’académie de Wittemberg, qui penchaient le plus ouvertement pour les doctrines de Mélancthon, était Creutziger, ou Cruciger, selon l’usage universel de latiniser les noms. Quoique fort attaché à Luther, il était de cette école modérée que Luther qualifiait d’érasmique, et qui avait pour chef Mélancthon. Il enseignait alors la théologie. Ayant à faire des leçons sur la justification, qui était l’une des plus grandes nouveautés de la doctrine de Luther, il avait adopté l’interprétation de Mélancthon, laquelle consistait à faire aux bonnes œuvres une plus forte part que ne voulait Luther.

  1. Corp. ref., tom. III