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« Quelles sont les bonnes œuvres qui ne laissent pas du doute ? disait Luther. Y en a-t-il d’assez évidentes, d’assez claires, d’assez distinctes de ces actions intéressées que notre amour-propre regarde comme bonnes, pour que nous soyons assurés qu’elles nous justifient ? » Et il citait l’exemple du pharisien de l’Évangile, qui se croit juste parce qu’il a satisfait à la loi. Il opposait à ce doute où nous laissent même nos bonnes actions la certitude que nous donne la foi en ce dogme que nos péchés nous sont remis par la médiation de Jésus-Christ.

Il fallait tout le premier enivrement de cette foi spéciale pour dérober à Luther et à ses disciples la nécessité du concours de la foi et des œuvres dans la justification ; mais cette difficulté qu’ils n’avaient pas vue d’abord ne tarda pas à se montrer dans toute sa force. D’abord, leurs adversaires ne manquèrent pas de la leur opposer, et de comparer ce prétendu doute où nous laissent nos bonnes œuvres, au doute, bien autrement grave, qui vient nous inquiéter au sein même de la foi, et que Luther ignorait moins que personne. Ensuite, bon nombre de partisans de la justice imputée, et Mélancthon en particulier, par leurs efforts même pour établir ce point, étaient entraînés malgré eux vers la doctrine des bonnes œuvres, d’autant plus nécessaire que la foi est plus languissante. Mélancthon avait eu à traiter cette question à plusieurs reprises, et pour tous les degrés de lecteurs, depuis les enfans, pour lesquels il avait fait des catéchismes de la nouvelle doctrine, jusqu’aux théologiens les plus raffinés. Il s’était donné des peines incroyables pour retenir les bonnes œuvres dont son esprit pratique sentait toute la nécessité, et toutefois ne pas abandonner la justice imputative, aux charmes de laquelle, pour parler comme Bossuet, il ne put jamais renoncer.

Il y avait un égal péril à trop donner, soit à la foi, soit aux œuvres. Trop donner à la foi, c’était autoriser les anabaptistes qui disaient après Luther, mais en appliquant sa théorie : La foi sans les œuvres et qui, la main dans le sang, se croyaient absous en criant du fond de la poitrine : Je crois que mes péchés me sont remis par Jésus médiateur. Trop donner aux œuvres, c’était rouvrir la porte à ces abus de recherche de perfection chrétienne qui avaient rempli les déserts et plus tard les couvens, et égaré la conscience des peuples sur la nature des bonnes œuvres remplacées par des pratiques superstitieuses. En outre, Mélancthon avait peur d’encourager certains esprits, à demi païens, qui prétendaient qu’il n’y a d’autre justice que celle des œuvres, et qu’à cet égard les Éthiques d’Aristote en