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MÉLANCTHON.

mettent pas d’en douter ; car dans le même temps que Mélancthon parlait de Luther en termes plus que modérés, et comme « d’un excellent homme et d’un vrai théologien, » Luther, dans ses lettres à Spalatin et à d’autres, ne parle qu’avec étonnement de Mélancthon. « Nous avons, écrit-il à Langus, pour professeur de grec, le très savant et très grécisant Philippe Mélancthon, un enfant ou à peine un adolescent, si vous regardez son âge, un des nôtres si vous considérez la diversité de ses connaissances, et son savoir dans les deux langues. » Et ailleurs, écrivant à Reuchlin : « Notre Philippe Mélancthon, dit-il, homme admirable ; que dis-je ? n’ayant rien qui ne soit au-dessus de l’homme, mon ami le plus particulier et le plus intime. » Luther pressait Spalatin d’augmenter le traitement de Mélancthon. Il craignait qu’on ne l’attirât ailleurs par l’appât d’un salaire plus honorable. Déjà ceux de Leipsick lui avaient fait des offres. Luther eut le bonheur d’épargner à son ami les demandes et de réussir.

Mélancthon fut d’abord tout entier aux lettres et à l’enseignement. Deux mois après son entrée en fonctions, il publiait le discours de Lucien sur la calomnie et le dédiait à l’électeur. Il avait un nombreux auditoire, composé principalement de théologiens, qui entendaient parler de grec pour la première fois. Voici comme il se peint au milieu des diverses occupations qui partagent son temps : « J’enseigne, dit-il, j’imprime des livres, pour que les jeunes gens en soient pourvus ; je professe dans une école fréquentée, pour leur apprendre à s’exercer. Déjà l’Épître à Titus est sous presse. J’ai presque achevé un dictionnaire grec. Viendra ensuite une rhétorique. Après quoi j’entreprendrai la réforme de la philosophie, pour, de là, arriver tout préparé aux choses de la théologie, où, s’il plaît à Dieu, je rendrai quelques services[1]. » N’oublions pas cette dernière phrase. Ce fut là sa méthode d’enseignement et sa règle de conduite. Cette préparation par les lettres anciennes qu’il veut apporter pour son compte à l’étude de la théologie, il la recommanda toute sa vie et dans tous ses écrits.

C’est cette première ardeur pour les lettres qui l’empêcha d’être entraîné dès l’abord par Luther. Ce que dit Bossuet en termes si forts de l’effet que produisirent les écrits de Luther sur ce qu’il appelle les beaux esprits de l’Allemagne, ne fut pas vrai d’abord de Mélancthon, lequel ne s’y laissa prendre que quand il s’y trouva préparé. Mais ce fut avec d’autant plus de force, son admiration ne lui paraissant être qu’un consentement réfléchi.

  1. Corpus reformatorum, tom. I. Lettre à Spalatin.