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diète, de rixes sophistiques. Il m’est doux de n’y pas assister, quel qu’ait été le dessein de la cour. »

Cette diète de Spire fut plus politique que religieuse. On disputa d’abord si les débats devaient commencer par la guerre contre les Turcs ou par la religion. Charles-Quint obtint que la religion ne viendrait qu’en second. On vota des secours contre les Turcs, et on déclara François Ier ennemi de l’empire. Pour la religion, Charles-Quint trouva moyen de l’ajourner. Il profita d’un jour où les princes étaient allés au-devant de l’électeur de Saxe, et fit fermer l’église où prêchaient les théologiens du landgrave. Du reste, il adjugea indirectement aux catholiques ce débat étouffé, en donnant des marques solennelles de catholicité, soit à un lavement de pieds qu’il célébra avec son frère Ferdinand, soit à une procession de l’âne, le jour des rameaux, où il assista six heures durant, accompagné des princes, l’électeur de Saxe excepté. Il y eut aussi des Espagnols qui, pour de l’argent, dit-on, quelques-uns de plein gré, protestèrent contre le dogme de la justification par la foi, en se flagellant, les premiers jusqu’au sang, les derniers jusqu’à en mourir. C’était la doctrine du mérite des œuvres mise en scène avec un appareil dramatique qui n’y aurait pas nui dans l’opinion populaire, si les réformés, auxquels l’empereur n’avait laissé que la liberté de railler, n’en eussent détruit l’effet par les plaisanteries qu’ils en faisaient courir.

Cependant la formule dont Luther avait menacé ses collègues, et en particulier Mélancthon et Cruciger, se faisait encore attendre. Soit que les explications de Mélancthon l’eussent satisfait, soit cet admirable instinct de chef de parti qu’il conserva jusqu’à la fin, et qui triomphait des plus grands emportemens, Luther laissa tomber un débat qui affaiblissait tout le monde. D’ailleurs, une violente controverse entre lui et les jurisconsultes de Wittemberg l’avait détourné du livre de la Réforme de Cologne. Il s’agissait d’un mariage clandestin, que les jurisconsultes maintenaient, et que Luther voulait casser. Luther l’emporta ; mais cette lutte d’une espèce nouvelle acheva de l’aigrir. Les jurisconsultes étaient des gens fort orgueilleux. Avant Luther, et durant plusieurs siècles, ils avaient tenu le premier rang ; la réforme le leur enleva, pour y faire monter les théologiens. De là, la vivacité de toutes leurs querelles avec ces derniers. Dans ce débat particulier avec Luther, celui-ci, outre les préventions réciproques, avait été excité par Catherine, sa femme, laquelle avait pu se croire compétente dans une question de mariage.