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nières années ne suffisent pas pour en constater dès à présent toute la gravité. La division du pouvoir législatif est un axiome dans tous les états libres : s’il n’existait pas, il faudrait l’inventer, ne fût-ce que pour la France, pays d’entraînement et de fougue, qui doit surtout se prémunir contre ses premiers mouvemens. La nation n’a pas, on doit le croire, reculé depuis l’an III. Ce que décréta la convention nationale elle-même, comme un premier hommage à l’expérience de tous les peuples, n’a pas cessé d’être une nécessité de premier ordre, une question de vie ou de mort pour le système représentatif.

Ceci, monsieur, n’est nié par personne. Il n’est pas un membre de l’opposition, jusque dans ses rangs les plus avancés, qui comprenne la monarchie constitutionnelle avec une seule chambre. Au sein même du parti républicain, les hommes dont l’opinion peut être de quelque poids, et je citerai ici Carrel, ont toujours reconnu, encore qu’ils ne l’aient pas toujours confessé, la convenance d’une division dans le pouvoir législatif, et la nécessité d’un sénat, dépositaire spécial des traditions gouvernementales. Il n’est donc pas dans le monde politique de doctrine plus universellement professée que celle-là.

Mais en est-il, je vous prie, de moins pratiquée ? Les membres de l’opposition qui professent pour elle le respect le plus avoué ne réclameraient-ils pas avec violence, si la pairie s’avisait de mettre un poids dans la balance de nos destinées, si elle rejetait une loi populaire, ou prenait l’initiative d’une mesure réprouvée par la presse ? On a pu lui permettre d’ajourner la conversion de la rente, car ceci ne touche à aucune passion, à aucun intérêt politique ; peut-être même se trouve-t-on, tout conversionniste qu’on puisse être, avoir au fond de son portefeuille quelques coupons de 5 pour 100. On a pu trouver convenable qu’en repoussant le divorce, elle rendît à la morale publique un hommage qu’on avait eu la faiblesse de lui refuser ; mais qu’eut-on dit si la pairie ne s’était pas courbée sous le plébiscite qu’on lui présentait à la pointe des baïonnettes de juillet ? Que dirait-on si elle refusait un jour de sanctionner une nouvelle loi électorale, si elle prétendait faire prévaloir dans une haute question diplomatique une autre pensée que celle de la chambre élective ? Que dirait-on surtout si elle s’ingérait à démolir aussi les ministères, en organisant, par exemple, contre un cabinet qui n’aurait pas ses sympathies, une coalition dont les élémens ne manqueraient pas, à coup sûr, dans son sein ? Si l’on reconnaît dans la chambre inamovible le droit d’agir ainsi dans la plénitude de ses attributions constitutionnelles, il faut dès à présent