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pas aussi que les docteurs en droit ne votassent jamais que sur le budget de la justice, et les bacheliers en théologie que sur celui des affaires ecclésiastiques ? Quant au budget de la guerre et de la marine, je vois, à la manière dont vous y allez, que vous nous condamnez tous, comme début à la carrière législative, à faire, le sac sur le dos, une campagne de trois ans, et un voyage aux Grandes-Indes en qualité de mousses. » Les Allemands ressemblent presque tous à J.-J. Rousseau, qui ne trouvait de réponse aux objections que la plume à la main. Mon homme se tut, et nous nous séparâmes.

Quelques mois après je retrouvai le baron de N… au Luxembourg pendant la lumineuse discussion à laquelle donna lieu la proposition de M. le baron Mounier sur l’organisation de la Légion-d’Honneur. Il prêtait à ces débats sévères une attention religieuse. C’était visiblement ainsi qu’il comprenait le gouvernement représentatif, et son génie, plus universitaire que politique, se complaisait dans cette sphère haute et sereine. M’ayant aperçu, il vint reprendre une conversation que quelques plaisanteries avaient brusquement interrompue. Les évènemens avaient, disait-il, confirmé toutes ses prévisions au-delà même de son attente. Il était désormais constaté, pour tout esprit non prévenu, qu’un vice organique existait dans nos institutions constitutionnelles ; il était démontré que, tant que la chambre élective disposerait des portefeuilles, la France ne sortirait pas de la crise, à bien dire permanente, que la sauvage tentative du 12 mai avait seule suspendue pour bien peu de temps. Dans ses sombres prophéties, M. de N… voyait déjà les intérêts matériels aux prises avec ceux de la liberté, et si je ne l’avais interrompu, il m’aurait, je crois, fait voir en perspective la garde nationale de Paris remplaçant les grenadiers du général Bonaparte dans un nouveau 18 brumaire.

Dans sa fureur contre la chambre élective, dans son indignation surtout contre l’alliance qui avait introduit de si graves perturbations dans son sein, c’était à la pairie seule qu’il commettait pour l’avenir le soin de fournir des ministres à la royauté ; là seulement il trouvait et l’esprit et les conditions d’un gouvernement, et dans ses élucubrations législatives, je crus comprendre que la mission de la chambre des députés se dessinait, pour lui, d’une manière analogue à celle du tribunat. Il était plein d’admiration pour Sieyès, dont il venait d’étudier la pyramide constitutionnelle ; il déclarait que ni cet homme ni son œuvre n’avaient été compris ; et que, quelque affamée que la France pût être de repos, elle serait bientôt conduite à remanier ses lois pour les mettre en harmonie avec ses intérêts comme