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aux adversaires de Luther, et plus tard, sous son propre nom, en le défendant contre les condamnations de la Sorbonne.

Les expressions les plus exaltées avaient remplacé, dans ses lettres, les qualifications à peine suffisantes d’homme bon et de théologien savant qu’il donnait à Luther. « Je n’ai qu’un souci, écrit-il à Spalatin, c’est pour la santé de notre père. J’ai peur qu’il ne se tue d’anxiété d’esprit, non pour sa cause, mais pour la nôtre. Tu sais avec quelle sollicitude il faut conserver le vase fragile qui renferme un si grand trésor. Que si nous le perdions, je croirais la colère de Dieu implacable. La lampe a été allumée par lui en Israël : si elle vient à s’éteindre, quel autre espoir nous restera ? » Et plus loin « Puissé-je, au prix de ma misérable existence, racheter la vie d’un homme tel que l’univers entier n’a rien de plus divin ! » Et ailleurs, parlant de l’effigie de Luther brûlée à Rome, de ce Martin de papier, comme disait Luther lui-même, brûlé, exécré et dévoué, il s’écrie « L’Allemagne n’a-t-elle pas, elle aussi, son phénix ? Vrai phénix, et plût à Dieu que la malheureuse Europe le connût[1] ! »

Bientôt il s’engagea plus avant. Il fit de petits traités élémentaires sur la nouvelle doctrine, à l’usage des enfans et des personnes simples. Ces petits traités étaient dans toutes les mains. Par là les nouveaux dogmes descendaient dans la foule, qui jusque-là n’avait compris de la théologie raffinée de Luther que le fonds de révolte et l’esprit de nouveauté qui s’y cachaient sous des discussions de textes. Mélancthon s’était livré. En lui allait être personnifiée la méthode, comme en Luther la pensée de la réforme. Il se croyait encore libre, et n’être qu’un auxiliaire qui combat, pour se retirer quand il sera las ; mais il ne s’appartenait déjà plus, et il était devenu aussi nécessaire que Luther à la cause commune. Il lui fallait y donner le même temps que Luther, quoiqu’il fût loin de l’aimer, comme celui-ci, sans partage. Pour y suffire, il fit deux parts de sa vie : il donna l’une aux lettres, l’autre à la réforme.

Toutefois, son penchant le plus vif était pour les lettres. Dans les affaires de la théologie, il n’était que soldat ; dans celles des lettres, il était chef. Outre ses occupations régulières, sa facilité lui en suscitait tous les jours de nouvelles et d’imprévues. Comme il excellait à mettre l’ordre et la lumière dans un discours, tous ses amis, vrais ou d’occasion, lui soumettaient leurs écrits, qui prenaient sous sa plume si sûre une forme plus accommodée à l’intelligence des lec-

  1. Corpus reformatorurn, tom. I, no 118.