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Lorsque son fils unique meurt, voici ce qu’il écrit à Zelter au sujet de la perte qu’il vient de faire : « Désormais la grande idée du devoir nous maintient seule, et je n’ai d’autre soin que de me maintenir en équilibre. Le corps doit, l’esprit veut, et celui qui voit le sentier fatal prescrit à sa volonté n’a jamais grand besoin de se remettre. » Il refoule sa douleur dans son sein, reprend avec passion des travaux depuis long-temps interrompus, et s’y absorbe tout entier. En quinze jours, le quatrième volume de ses mémoires : Dichtung und Wahrheit aus meinem Leben, est presque terminé, lorsque tout à coup la nature, si rudement traitée, se venge par une hémorrhagie violente, qui fait craindre pour ses jours. À peine rétabli, il met ordre à ses affaires, ordonne avec méthode ses derniers travaux, et songe à régler ses comptes avec le monde. Cependant, au milieu de cet examen, une idée le tourmente : Faust est encore incomplet, les grandes scènes du quatrième acte manquent à la seconde partie. Il s’impose la tâche de les écrire incontinent, et, la veille de son dernier anniversaire, annonce à tous que cette œuvre, la grande œuvre de sa vie, est enfin achevée. Il la scelle d’un triple cachet, et, se dérobant aux félicitations de ses amis, va revoir, après tant d’années, le lieu de ses premiers travaux, de ses premières pensées, comme aussi de ses plus vives jouissances, Ilmenau. Le calme profond des grands bois, la fraîche brise des montagnes, lui donnent une vie nouvelle ; il revient heureux et dispos, et se remet à l’œuvre. La Théorie des Couleurs est récapitulée, augmentée, achevée ; la nature de l’arc-en-ciel analysée, la tendance des planètes à monter en spirale incessamment étudiée. « Je me sens environné ou plutôt assiégé par tous les esprits que j’évoquai jamais, dit-il dans son illuminisme. » Les esprits viennent prendre leur maître pour le conduire au sein de la nature. À ses heures de loisir, il se fait lire Plutarque, s’informe des contemporains, dicte des fragmens de critique sur notre littérature nouvelle, « cette littérature du désespoir, » comme il l’appelle. Les débats zoologiques de Cuvier et de Geoffroy Saint-Hilaire excitent au plus haut degré son intérêt. Il veut y prendre part, envoie ses travaux à Varnhagen de Ense, entretient une correspondance continue avec Wilhelm de Humboldt, Zelter, le comte Gaspard de Sternberg, et c’est du milieu de cette activité si calme et si sereine qu’il passe à quelque plus haute destinée.

Un matin, son œuvre était consommée, il était assis dans son cabinet d’étude. L’hiver s’éloignait de la terre, les premiers gais rayons dansaient au dehors, les fleurs du jardin se tenaient collées à la vitre,