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REVUE. — CHRONIQUE.

refroidissement qui régnait entre la France et l’Angleterre, et de séduire l’ambition britannique par l’appât des propositions les plus brillantes. La Russie n’offrait rien moins à l’Angleterre que de lui laisser toute liberté d’agir contre l’Égypte ; comme réciprocité, l’Angleterre lui aurait laissé pousser une armée jusqu’à Constantinople, et la Russie aurait renoncé au traité d’Unkiar-Skelessi. Le premier mouvement du cabinet de Londres fut d’accueillir avec joie l’ouverture ; mais bientôt la réflexion vint amortir tout cela. Les concessions de la Russie n’ouvraient pas le port d’Alexandrie à la flotte anglaise ; c’était l’occasion d’une guerre et tous les hasards d’une conquête que la Russie offrait à sa chère alliée, pas autre chose. Et la France laisserait-elle sans coup férir envahir l’Égypte, l’Égypte si pleine de souvenirs français, sur laquelle le pays de Napoléon ne peut renoncer à une domination personnelle qu’à la condition de n’y voir jamais régner une rivale, mais d’y trouver toujours un allié fidèle et indépendant de toute suzeraineté européenne ? D’ailleurs, que la Russie occupât Constantinople, en renonçant au traité d’Unkiar-Skelessi, n’était-ce pas une déception ? Que lui servait le traité dès qu’elle tenait l’objet de sa longue convoitise ? L’Angleterre, en acceptant cette renonciation, ne reconnaissait-elle pas un traité que toujours elle et la France avaient déclaré ne pas exister à leurs yeux ? Tout cela était donc spécieux et dérisoire ; tout cela cependant a occupé sérieusement le cabinet wigh. Lord Palmerston ne put se dispenser, avant de répondre à l’agent russe, de toucher à la France quelque chose de cette singulière proposition ; on peut s’imaginer comment fut reçue une pareille ouverture. De leur côté, les tories, instruits de cette communication de Saint-Pétersbourg, s’en emparèrent avec empressement pour en faire contre le cabinet whig une menace d’hostilité et même de renversement. Mais l’opinion nationale et les difficultés insurmontables qui se présentaient du côté de la France, refroidirent bientôt l’effervescence de lord Palmerston, et ramenèrent ce pétulant diplomate à la nécessité de combiner sa marche avec la nôtre. Il a du moins voulu se faire un mérite de cette volte-face auprès du cabinet du 12 mai, auquel en effet ce retour de l’Angleterre a donné pour quelque temps une assiette plus ferme.

La médiation de la France en faveur du pacha d’Égypte va le trouver dans une situation heureuse qu’il s’attache à fortifier tous les jours. Son nom divise, à Constantinople, le harem et le divan ; jamais plus d’intrigues ne se sont croisées, et sur ce point l’Orient n’a rien à envier à l’Occident. Comme pour contrefaire jusqu’au bout ce qui se passe chez les puissances chrétiennes, l’Orient a aussi un prétendant : c’est Ahmet-Nadir-Bey, qui se dit fils de Mustapha IV. On se demande qui l’a produit et le fait mouvoir, on cherche de quelle intrigue il pourrait être l’instrument. Nadir-Bey est un homme de trente ans environ, il porte habituellement, et avec une aisance qui n’est pas sans graces, les vêtemens européens. Cependant, dernièrement à Malte, il semblait, par la magnificence de son costume oriental et de son turban, vouloir faire la satire de la réforme de Mahmoud, et de l’habit étriqué de l’envoyé turc, qui se