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l’appelait, avec l’autorité de la vieillesse et de ses bons offices, à le remplacer dans sa chaire de professeur de grec à Ingolstadt. La lettre de Reuchlin, qu’on a perdue, devait être, à en juger par la réponse de Mélancthon, d’un maître qui gourmande son élève. Mélancthon se défend d’être engagé dans les plaisirs de la jeunesse, et d’aimer ses amis par enthousiasme de jeune homme plutôt que par jugement. Reuchlin l’aurait-il blâmé de ses liaisons avec Luther et ceux de son parti ? Rien de plus probable. Reuchlin logeait alors chez ce même Jean de Eck, à qui Mélancthon avait fait de si importunes piqûres dans le colloque de Leipsick. Il était vieux, et il avait dû se rapprocher des scolastiques moitié par scrupule de religion, moitié de dépit que les chefs de la réforme eussent fait oublier l’adversaire des moines de Cologne. Quoi qu’il en soit, Mélancthon résista, mais à sa manière, sans vouloir ôter tout espoir à Reuchlin, et promettant d’obéir, en cas d’insistances qu’il soupçonnait que Reuchlin ne ferait point. Celui-ci s’en vengea en léguant au collége de Pforzheim sa bibliothèque qu’il avait promise à son élève à diverses fois, et en présence de témoins. Mélancthon eut tort d’en écrire à Spalatin sur un ton piqué, et de parler des premiers encouragemens et des services de cet homme illustre sous l’impression des changemens d’humeur d’un vieillard qui n’était peut-être que timoré. Ce sont là les petitesses des amitiés humaines, plus déplorables quand l’exemple en est donné par des esprits supérieurs, parce qu’on leur croit plus de force qu’aux autres hommes pour faire durer les bons penchans de notre nature.

Luther, que touchait assez peu la prospérité des lettres profanes, si ce n’est par le chagrin qu’en avaient les moines et les scolastiques, et parce que la cause en était liée à celle des nouvelles doctrines, importunait Mélancthon, soit directement, soit par Spalatin, pour qu’il enseignât la théologie. Il demandait qu’on le déchargeât du grec, insinuant que Mélancthon réussissait mieux à interpréter saint Paul que Pline. Mélancthon s’en plaint à Spalatin. « Les lettres humaines, dit-il, ont trop besoin de maîtres nombreux et habiles, n’étant pas moins négligées dans ce siècle qu’elles l’étaient dans l’âge sophistique qui l’a précédé. » Il supplie qu’on le laisse tout entier au soin de ces jeunes gens qu’il a retirés « de je ne sais quelles études vagues et universelles où ils languissaient, et dont quelques-uns ont déjà traduit en latin des vers d’Homère[1]. » Luther n’en poussait pas moins

  1. Corp. ref., tom. i, no 216.