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tout surpris d’y trouver d’assez bonnes imitations des artistes de nos salons. Les fantaisies de M. Dubuffe, de M. Grevedon, tapissaient les murs de l’atelier chinois. À vrai dire, le nom de magasin conviendrait mieux que celui d’atelier à l’endroit où je me trouvais. Les Chinois ne sauraient mériter le nom de peintres, car, pour peindre, il faut être poète, et l’imagination du bon Sam-qua (chez qui je venais d’entrer), comme celle de ses confrères, n’est rien moins que poétique. La peinture pour un Chinois est un art mécanique ; elle consiste à imiter, et personne ne pousse plus loin ce talent. Un peintre chinois non-seulement reproduit avec une grande exactitude les traits principaux de la toile qu’il copie ; mais, si le tableau a des défauts, il ne manque pas de les rendre fidèlement, et cela sans les sentir, comme il en reproduit les beautés sans les comprendre. Il en est de même pour les portraits, dans lesquels les Chinois excellent, en ce sens que rien n’est plus frappant que la ressemblance ; mais leur talent se borne à la reproduction matérielle des traits. Pourvu que les lignes de la toile soient parfaitement semblables à celles du visage qu’ils peignent, peu leur importe le reste, la physionomie, la poésie du portrait, n’est rien pour eux. En revanche, si leur modèle a quelque défaut à peine visible dans le visage, un léger mal d’yeux, par exemple, le peintre ne manquera pas de le reproduire scrupuleusement ; il n’oubliera pas même la ride la plus imperceptible. Les Chinois ont de bonnes couleurs, mais ils les mêlent et les appliquent mal ; leur coloris est plat et dur ; leurs lignes sont raides ou sans vie. Quand ils veulent produire des œuvres originales, leurs efforts n’aboutissent qu’aux conceptions les plus bizarres ; on cherche en vain dans leurs tableaux quelque idée de la disposition des ombres, quelque respect pour les plus simples règles de la perspective. — Du reste, le talent d’imitation des Chinois s’étend à tout. Quelqu’un me contait qu’ayant un jour donné un vieil habit à un tailleur chinois pour qu’il lui en fît un pareil, celui-ci lui rapporta un habit neuf avec une pièce au coude délicatement ajustée, le priant de remarquer avec quel soin il avait copié son modèle. — On a vu aussi les Chinois pousser l’imitation de nos porcelaines, jusqu’à en reproduire les fêlures.

Notre visite des magasins chinois des factoreries est déjà longue, et cependant je ne puis la terminer ici. Laissez-moi vous introduire rapidement dans ceux qui renferment l’ivoire travaillé, et où, moyennant cinq francs pièce, vous pouvez faire graver les plus jolis cachets du monde, avec les armes ou les initiales de tous les membres de votre famille. Voyez ces boules concentriques, dont six ou sept se meuvent l’une dans l’autre, toutes ciselées à jour avec autant de perfection que si l’ouvrier eût eu chacune des pièces l’une après l’autre dans la main. — Les Chinois gardent le secret sur leur manière de travailler l’ivoire ; la méthode et les outils qu’ils emploient nous sont également inconnus. — Suivez-moi encore. Ici l’on vend des sachets dont la forme est aussi coquette que la senteur en est suave, des nattes parfumées qui répandent, lorsqu’on les mouille, une odeur délicieuse ; là, un magasin de porcelaine étale ses richesses. Vous vous croiriez dans un magasin de Paris, si vous ne voyiez au comptoir deux ou trois graves Chinois, et si, après le premier coup d’œil, vous