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riers, qui parurent, en effet, peu de temps après. Ses habitudes de cosmopolite lui avaient procuré des relations suivies avec les gens de lettres et les libraires d’un grand nombre de villes, mais plus particulièrement de Lyon et de Poitiers, où il avait plus long-temps résidé que partout ailleurs. Les Discours dont nous nous occupons maintenant furent cédés à Enguilbert de Marnef, qui imprimait à Poitiers, et les Nouvelles Récréations à Robert Granjon, qui imprimait à Lyon. Pelletier, disposé à s’expatrier, ne pouvait se dispenser de rendre ce dernier devoir à la mémoire de Desperiers, et il serait même assez difficile d’expliquer qu’il eût tardé si long-temps d’accomplir cette obligation, si la réprobation fatale qui pesait sur l’auteur du Cymbalum Mundi, avait permis de le rappeler sans péril. Que Pelletier ait introduit dans ces deux ouvrages quelques pièces posthumes de Nicolas Denisot, c’est une chose naturelle à supposer et facile à comprendre. Il est encore moins douteux qu’il ait saisi cette occasion de faire voir le jour à quelques-uns de ses opuscules, qui risquaient de se perdre, sans cette précaution, à cause de leur peu d’étendue. Malheureusement pour Pelletier et Denisot, leur part n’est pas difficile à retrouver dans les pages si spirituellement pensées et si vivement écrites de Desperiers, qui ne laissa son secret à personne, au moins parmi ses contemporains. Quant au bonhomme Élie Vinet, il n’a certainement rien à y réclamer, et la méprise de La Monnoye repose, selon toute apparence, sur la conformité du sujet d’un de ces Discours, où il est traité de l’art de faire les quadrans, avec celui d’un livret qu’Élie Vinet a composé sur la même matière. Desperiers, comme Voltaire, inimitable bouffon, même dans les questions les plus sérieuses, avait un cachet que personne ne pouvait contrefaire. Le Desperiers du Cymbalum Mundi est le Desperiers des Contes, et tous deux sont le Desperiers des Discours. Pour retrouver quelque chose de cette allure libre et badine, il faut remonter jusqu’à Rabelais, qui était mort en 1557, ou descendre jusqu’à l’auteur inconnu du Moyen de parvenir, qui n’était pas encore né. Il se distingue d’ailleurs de l’un et de l’autre, par la vigueur adulte de son style sans pédantisme, sans affectation, sans manière, qui s’affranchit déjà des archaïsmes du premier, qui ne tombe pas encore dans les néologismes du second, et qui a tous les avantages d’une langue faite. Ce qui le caractérise, c’est cette ironie de bon ton, naturelle à un homme qui joint assez d’esprit à beaucoup de savoir pour estimer le savoir lui-même à sa véritable valeur, et qui se joue de son érudition avec la moqueuse, gaieté du scepticisme, parce qu’il n’a pas