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même des partis, de voir l’élection directe compromettre plus d’une fois les destinées du pays, et ce n’est pas sans émotion que je songe qu’une heure de fascination peut perdre à jamais l’œuvre des années. Vous déciderez si l’étude du passé doit laisser à cet égard sans souci pour l’avenir.

Souvent, lorsqu’il m’arrive de devancer cet avenir par ma pensée, dans ces quarts d’heure de prescience et de rêverie où l’on dispose en maître des temps et des choses, je me demande, monsieur, si cette instabilité générale est donc la loi et comme la condition de l’émancipation des peuples. J’aime à me représenter alors le mouvement électoral ne procédant plus par saccade, et se transformant en une fonction organique et régulière, du même ordre que l’administration civile ou celle de la justice criminelle, qui admettent aussi, l’une et l’autre, l’active et constante intervention du citoyen ; j’aime à rechercher comment on pourrait classer cette société sans lien selon des principes empruntés à son propre symbole, et lorsque je viens à le poser, je suis loin de trouver le problème insoluble.

Il faut renoncer sans doute à la pensée de reformer jamais, au sein de notre France tout individualisée et toute mobile, quelque chose d’analogue à ces corporations groupées autour d’intérêts fixes et pour ainsi dire supérieurs à elles-mêmes. Mais ne s’élève-t-il donc pas déjà, dans la France de 89 et de 1830, des associations animées de l’esprit nouveau et constituées par l’élection, ce sacrement de la société nouvelle ? Nos corps administratifs élus, depuis le conseil de la commune jusqu’à celui du département, ne pourraient-ils devenir les degrés naturels de cette hiérarchie élective ? Au lieu de livrer la formation du pouvoir politique à tous les hasards d’une lutte où chacun reste sans responsabilité, parce que le corps électoral n’existe que pour un seul jour, ne se trouvera-t-on pas conduit dans l’avenir à leur confier cette formation dans une proportion analogue à celle où l’administration du pays leur est commise ?

En ce moment, monsieur, chacun élabore ses théories électorales. Tel comité veut le suffrage universel ou à peu près, tel autre quatre cent mille électeurs, ni plus ni moins. Ceux-ci prennent pour base les contrôles de la garde nationale, ceux-là ajoutent aux catégories du projet de 1831 les sous-lieutenans de la garde nationale à l’exclusion des sergens-majors, les conseillers de chefs-lieux de canton en repoussant ceux des communes ; les uns veulent l’élection directe avec toutes ses conséquences, et, si je puis le dire, dans toute sa brutalité ; les autres, en admettant au droit électoral des citoyens déjà