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l’abaissement de don Carlos, en les délivrant de toute crainte, ne devait pas, au contraire, leur donner plus de courage pour tenter de soumettre l’Espagne à leurs expériences politiques. Le ministère se décompose. La dissolution de la chambre, toujours nécessaire, devient cependant moins facile et ses résultats moins certains. Si les nouvelles de l’Aragon et de la Catalogne n’étaient pas favorables, ces difficultés s’aggraveraient, et le gouvernement espagnol verrait renaître ses périls et ses plus cruels embarras. La France, son alliée naturelle, ne voudrait pas y ajouter en mettant soudainement don Carlos en liberté, et en donnant ainsi aux chefs carlistes un moyen d’égarer de plus en plus les populations insurgées.

Le ministère français se trouve, à l’égard de l’Espagne, dans une position heureuse, mais délicate. Le moment est arrivé de resserrer nos liens avec la nation espagnole. Mais nous ne sommes pas seuls à Madrid. C’est un terrain où pourraient facilement se rencontrer, se heurter même, des rivalités politiques et commerciales. Le ministère saura-t-il prévenir ces luttes, éviter le choc, sans rien sacrifier des intérêts et de la dignité de la France ? Saura-t-il fortifier notre alliance avec l’Espagne sans compromettre, par sa faute du moins, notre alliance avec l’Angleterre ?

L’Angleterre est placée dans de dures nécessités. Ses crises commerciales ne sont pas des accidens ; et il est à craindre qu’elles ne deviennent de plus en plus fréquentes et, redoutables. Il faudrait, pour les prévenir, un autre système commercial en Europe ; et d’autres lois en Angleterre. Or, il est tout aussi difficile de faire adopter ces lois à l’aristocratie anglaise que de faire élargir les portes des douanes sur le continent. L’Angleterre a donné au monde de terribles leçons de monopole et d’égoïsme politique : elle doit reconnaître que les disciples font honneur au maître. Dans cette lutte insensée, les plus douloureuses épreuves étaient, par la force des choses, réservées à la nation qui avait la première, par l’action du monopole, secondé par les circonstances politiques, donné un développement exagéré à sa population industrielle.

Depuis vingt ans, la situation économique de l’Angleterre occupe presque exclusivement ses conseils ; elle est la clé de sa politique. La reconnaissance, précipitée peut-être, des états de l’Amérique du Sud, de ces gouvernemens qui ont toute la barbarie des sauvages qui les avoisinent et qui n’ont emprunté aux Européens que l’insolence, l’intrigue et un langage vide et sonore ; son inquiétude pour tout ce qui de près ou de loin touche à l’Inde, sa conduite à l’égard du Portugal, de l’Espagne, de l’Orient, sa bonne politique comme ses erreurs, tout s’explique en définitive par le besoin qu’elle a de conserver ses anciens débouchés et de s’en ouvrir de nouveaux, par sa sollicitude pour ses immenses possessions, et la crainte d’être prévenue ou suivie de trop près sur les nouveaux marchés qu’elle convoite.

Dans l’Inde, une sorte de fatalité la poursuit et la pousse tous les jours plus loin. Comme Napoléon ne pouvait plus s’arrêter en Europe, et qu’après avoir occupé Naples, Vienne et Berlin, il se croyait fatalement lancé vers Cadix et