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LA COMÉDIE AU DIXIÈME SIÈCLE.

Paphnuce. — Pourquoi ?

Thaïs. — Pour ne pas laisser dans le monde ce que je n’ai pu acquérir qu’en péchant et en outrageant le Créateur du monde.

Paphnuce. — Ah ! que vous voilà différente de cette Thaïs qui brûlait naguère de passions impures et qui était altérée d’or[1] !

Thaïs. — Peut-être deviendrai-je meilleure, s’il plaît à Dieu.

Paphnuce. — Il n’est pas difficile à son essence immuable de changer toutes choses ; il lui suffit de vouloir.

Thaïs. — Je vais mettre à exécution mon projet.

Paphnuce. — Allez en paix et hâtez-vous de me rejoindre.



Scène IX.


THAÏS, SES AMANS.

Thaïs. — Venez ici, accourez, vous tous, insensés, qui avez été mes amans !

Les amans de Thaïs. — C’est la voix de Thaïs qui nous appelle ; hâtons-nous, ne l’offensons pas par nos lenteurs.

Thaïs. — Approchez ! accourez ! j’ai à échanger avec vous quelques paroles.

Les amans. — Ô Thaïs ! Thaïs ! que signifie ce bûcher que vous élevez ? Pourquoi y amoncelez-vous cet amas divers de choses précieuses ?

Thaïs. — Vous le demandez ?

Les amans. — Votre conduite nous frappe de surprise.

Thaïs. — Je vais vous l’expliquer sans délai.

Les amans. — Nous vous en prions.

Thaïs. — Regardez !

Les amans. — Arrêtez ! arrêtez, Thaïs ! que faites-vous ? Avez-vous perdu la raison ?

Thaïs. — Je ne l’ai pas perdue ; je l’ai recouvrée !

Les amans. — Pourquoi sacrifiez-vous ainsi quatre cents livres d’or et tant de richesses de toutes sortes ?

Thaïs. — Je veux consumer dans les flammes tout ce que j’ai arraché de vous par de mauvaises actions, afin qu’il ne puisse pas vous rester le moindre espoir de me voir jamais céder à vos désirs.

Les amans. — Arrêtez un moment ! arrêtez ! et découvrez-nous ce qui cause le trouble où vous êtes.

Thaïs. — Je ne veux ni rester, ni vous parler plus long-temps.

Les amans. — D’où viennent ces dédains et ce mépris ? Nous reprochez-vous quelque infidélité ? N’avons-nous pas toujours satisfait vos moindres désirs ? et voilà que vous nous accablez d’une haine injuste et sans motif !

Thaïs. — Laissez-moi ; ne déchirez pas mes vêtemens pour me retenir !

  1. « Ô quantum mutata es ab illâ… » On voit que Hrosvita avait lu Virgile.