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LA COMÉDIE AU DIXIÈME SIÈCLE.

Thaïs. — Que le concert des cieux, que tous les arbrisseaux de la terre, que toutes les espèces d’animaux, que les gouffres mêmes des lacs et des mers s’unissent pour louer celui qui non-seulement supporte les pécheurs, mais qui récompense par des faveurs gratuites ceux qui se repentent !

Paphnuce. — Dieu a, et de toute éternité, préféré la miséricorde aux châtimens[1].

Thaïs. — Ne me quittez pas, mon vénérable père ; mais restez près de moi pour me consoler à l’heure où mon corps va se dissoudre.

Paphnuce. — Je ne m’en vais point ; je me tiens seulement à l’écart jusqu’au moment où votre ame s’élançant triomphante vers le ciel, je devrai livrer votre corps à la sépulture.


Scène XV.


LES MÊMES.

Thaïs. — Je commence à mourir.

Paphnuce. — Voici le moment de prier.

Thaïs. — Vous qui m’avez créée, ayez pitié de moi et permettez que l’ame que vous m’avez donnée retourne heureusement vers vous.

Paphnuce. — Ô toi qui n’as point eu de créateur, être vraiment immatériel, dont l’essence simple a formé de diverses parties l’homme qui n’est pas comme toi celui qui est, permets que les élémens dont cette créature périssable est composée aillent retrouver le principe de leur origine ; que l’ame, venue du ciel, participe aux joies célestes, et que le corps trouve une couche fraternelle et amie dans le sein de la terre d’où il est sorti, jusqu’au jour où cette poussière se réunissant et le souffle de la vie ranimant ces membres, cette même Thaïs ressuscitera, créature complète, comme elle fut dans sa première vie, pour prendre place entre les blanches brebis du Seigneur et entrer dans la joie de l’éternité ; toi qui seul es celui qui est, toi qui règnes dans l’unité de la Trinité et qui es glorifié dans tous les siècles ! Ainsi soit-il.



Je ne veux rien ajouter à la traduction qu’on vient de lire, et que je me suis efforcé de faire absolument littérale. Une œuvre d’art et de sentiment doit se défendre d’elle-même ; elle est condamnée, si elle a besoin de commentaire. Je ne ferai qu’une remarque, c’est que ce sujet, tout étrange qu’il puisse paraître, a été traité à deux reprises par les modernes, et, il faut le dire, avec bien moins de ménagement et de pudeur que par Hrosvita. D’abord Érasme, dans ses Colloques, a

  1. Cette théologie miséricordieuse et le passage que nous venons de voir sur la grace prouvent que la barbarie des mœurs du temps n’était pas entrée dans les doctrines.