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UN VOYAGE EN CHINE.

dont j’ai déjà parlé, et les fondemens sont en belles pierres de granit. Il y a en Chine du granit magnifique ; j’y ai vu des colonnes de vingt-cinq pieds de haut d’une seule pièce. Le nom de couvent conviendrait mieux à cet édifice que celui de temple que je lui ai donné d’abord : c’est une immense construction ou plutôt une agglomération d’un grand nombre de bâtimens ; il fut fondé, il y a douze cents ans, par les Cochinchinois ; par conséquent, sa date est comparativement moderne. Il était alors sur une plus petite échelle ; quand les Chinois chassèrent les Cochinchinois de la province de Canton, ils augmentèrent peu à peu les proportions de l’édifice et le firent ce qu’il est aujourd’hui.

L’établissement renferme plus de deux cent cinquante bonzes, en y comprenant quelques enfans ; quelquefois ce nombre s’élève à plus de cinq cents. — Tout le monde sait que les bonzes sont les adorateurs de Boudha. — Une assez vaste cour précède le péristyle, qui est flanqué, de chaque côté, de deux statues monstrueuses, représentant les gardiens du temple, et certes la garde de l’édifice ne saurait être mieux confiée qu’à ces figures vraiment faites pour inspirer l’effroi. Ces statues, de bois peint, ont de douze à quinze pieds de haut et n’offrent d’ailleurs rien de remarquable que leur taille colossale et leur épouvantable physionomie. En sortant du péristyle, nous entrâmes dans une grande chapelle consacrée à un dieu dont je ne me rappelle pas le nom, mais qu’on me dit être le Bacchus des Chinois. Je n’aurais eu qu’à regarder l’image du dieu pour deviner ses attributions. C’est une statue d’une grandeur démesurée ; le dieu est couché ; son énorme tête est appuyée sur son bras droit ; la partie supérieure du corps est nue, la partie inférieure est recouverte d’une draperie ; la statue est faite d’un seul bloc de bois et entièrement dorée ; c’est une des meilleures personnifications que j’aie vues de la passion du vin et de la bonne chère. Un des yeux du dieu est à demi fermé, sa bouche est entr’ouverte et rit ; il n’est pas encore arrivé à un extrême degré d’ivresse, ce qui, d’ailleurs, serait un contre-sens, les Chinois étant généralement peu adonnés au vice de l’ivrognerie : c’est plutôt le dieu du bien-être, car, suivant la traduction que m’en donna M. Hunter, jeune Américain, qui entend très bien la langue chinoise, l’inscription gravée sur une large planche de laque au-dessus de la tête signifie : richesse, santé, pouvoir, — le bonheur de l’homme. C’est également à la complaisance de M. Hunter que je dois l’explication des inscriptions dont il me reste à parler. Comme dans toutes les chapelles et dans tous les temples chinois, devant le dieu est placée une sorte d’autel, sur lequel on voit six ou huit vases faits d’un mélange de zinc et de cuivre, et imitant assez bien l’argent. C’est dans la cendre sacrée que contiennent ces vases que les fidèles placent des bâtons faits de la sciure parfumée d’une espèce de bois qu’ils allument en l’honneur du dieu. De chaque côté de l’autel se déploient de longues banderoles dorées, représentant en quelque sorte deux longues figures agenouillées devant la divinité. En avant de l’autel est une grande chaudière où l’on brûle des papiers sur lesquels les prêtres ont gravé des signes mystiques que le vulgaire n’entend pas et achète de confiance ; ses prières montent au ciel