Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/501

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
497
UN VOYAGE EN CHINE.

épreuves superficielles laisseraient des doutes, on a adopté un moyen qui donne des résultats plus positifs. On place dans une petite théière une certaine quantité de thé, pesée avec des balances d’une exactitude rigoureuse, on jette dessus de l’eau bouillante, et au même instant on retourne un sablier marquant une minute, à l’expiration de laquelle on verse le thé dans une tasse. Au goût et à la force du breuvage, après une infusion aussi exactement calculée, on reconnaît la véritable qualité de la plante.

M. Dent me pressa ensuite d’aller visiter avec lui quelques manufactures de soieries. Ici, point de métier à la Jacquard, point de mécaniques perfectionnées ; les Chinois tissent la soie comme l’ont tissée leurs pères, et vous leur proposeriez les innovations les plus utiles, qu’ils croiraient commettre un grand crime en changeant la moindre chose à des procédés venus d’aussi loin que leurs traditions. Le mécanisme qu’ils emploient pour tisser les étoffes brochées me parut assez extraordinaire, et surtout d’une application si difficile, que dans nos manufactures on a dû le simplifier depuis long-temps. Un homme, placé au milieu du métier, et assis à environ cinq pieds au-dessus de la chaîne tendue, fait agir une multitude de cordes qui passent à travers cette chaîne, relevant ou abaissant, chaque fois que le tisserand fait courir sa navette, les fils que la trame doit couvrir ou laisser à découvert. Cinq ou six de ces métiers, qui sont très grossièrement construits, fonctionnaient au rez-de-chaussée ; l’étage supérieur était occupé par une grande quantité de soie grège : c’était de la soie de Canton ou des provinces adjacentes. Cette soie est jaune ou d’un blanc sale, et sert à la fabrication de certaines étoffes qui ne demandent pas une matière très fine, les crêpes de Chine, par exemple ; elle est bien loin de pouvoir être comparée à celle que les marchands de Nankin apportent sur le marché de Canton. On ouvrit devant nous des balles de cette magnifique soie connue dans le commerce sous le nom de soie de Nankin, mais qui s’appelle en Chine sat-lee. Cette soie est d’une blancheur et d’un lustre admirables ; elle est très douce au toucher, moins douce cependant qu’on ne serait porté à le croire à la première vue, à cause de la grande quantité de gomme dont on la charge en la filant. La Chine n’en produit pas de plus belle ; je dois dire, toutefois, que M. Hébert, élève de M. Beauvais, et que le ministre du commerce avait envoyé à Canton pour y faire des recherches sur l’industrie sétifère des Chinois, ne la trouva pas très supérieure à celle fabriquée dans la magnanerie-modèle. Le prix de cette soie est très élevé. Lors des folles spéculations qui amenèrent la crise qu’eut à souffrir le monde commercial au commencement de 1837, cette soie se vendit jusqu’à 620 piastres, environ 3,500 fr. les 125 livres. Aujourd’hui elle se vend encore, malgré le discrédit de cet article en Europe, 2,250 francs. Le prix de la soie de Canton est d’un tiers environ inférieur à celui de la soie sat-lee.

Dans une salle voisine, on me fit remarquer un grand nombre de pièces d’étoffes dont quelques-unes étaient fort belles ; les soieries apportées de Nankin surtout sont d’une qualité supérieure. J’eus lieu de m’étonner de l’immense quantité de marchandises que je vis réunies dans ce magasin, et, ne