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si l’on n’avait pas de lettre à l’adresse qu’il nomma. Christel, au moment où la porte de la rue s’était ouverte, avait brusquement quitté sa place et était déjà debout, à demi élancée, comme elle faisait pour tous (craignant toujours, la noble enfant, de ne pas assez faire). À la question de l’adresse, elle répondit oui vivement, sans avoir besoin de regarder au bureau, et avant d’y songer ; puis, s’apercevant peut-être de sa promptitude, elle remit les trois lettres en rougissant.

Le comte Hervé était trop occupé de ce qu’il recevait pour s’apercevoir d’autre chose ; il sortit en saluant, et, lorsqu’il passa devant les fenêtres, Christel vit qu’il avait déjà brisé l’un des cachets, et qu’il commençait à lire avidement ce qui semblait si pressé de l’atteindre.

D’autres lettres vinrent les jours suivants ; il revint lui-même, poli, silencieux, tout entier à ce qu’il recevait. Un singulier intérêt s’y mêlait pour Christel : évidemment ce jeune homme aimait, il était aimé. Le comte Hervé n’avait pas vingt-cinq ans ; il était beau, bien fait ; il avait servi quelque temps dans les gardes d’honneur, puis dans les mousquetaires, je crois, en 1814. Depuis plusieurs mois, il avait quitté le service, Paris et le monde, pour vivre dans la terre de son père, à une lieue de là. C’était une des plus anciennes et des grandes familles du pays. Christel n’apprit ces détails que successivement, et sans rien faire pour s’en enquérir ; mais, quoique elle et sa mère ne reçussent habituellement aucune personne du lieu, les simples propos des voisines, la plupart du temps en émoi, si l’on voyait le jeune homme arriver au galop du bout de la place, puis mettre son cheval au pas en approchant, auraient suffi pour instruire. Cet intérêt de Christel pour une situation qu’elle devina du premier coup, fut-il, un seul instant, purement curieux, attentif sans retour, et, si l’on peut dire, désintéressé ? Un certain trouble et la souffrance ne s’y joignirent-ils pas aussitôt ? Elle-même l’a-t-elle jamais su ? Ce qui est certain, c’est qu’un jour en agitant dans ses mains quelqu’une de ces lettres mignonnes, odorantes, et transparentes presque sous la finesse du pli, elle se sentit saigner comme d’une soudaine blessure, elle se trouva empoisonnée comme dans le parfum. En les remettant ce jour-là, une rougeur plus brûlante lui monta au front, elle pâlit aussitôt ; elle aimait.


Amour, Amour, qui pourra sonder un seul de tes mystères ? Depuis la naissance du monde et son éclosion sous ton aile, tu les suscites