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terrain elliptique et incliné se font chaque année des courses de chevaux tellement périlleuses, que des matelas sont disposés pour recevoir les chevaux et les cavaliers. Des fêtes analogues avaient déjà lieu au temps de Dante, et la tradition rapporte qu’il assista à une de ces fêtes, sans savoir ce qui se passait autour de lui, tant on se le représentait comme un homme d’extase et de contemplation, vivant par la pensée dans un autre monde.

La bataille de Mont-Aperti, gagnée sur les guelfes de Florence par les bannis gibelins, alliés aux Siennois, fut une de ces rencontres dans lesquelles les haines de ville à ville se mêlaient à l’acharnement des partis ; elle fit beaucoup d’impression en Toscane, et elle exalta considérablement ce que Dante aurait appelé la vanité des Siennois ; on combattit avec acharnement sur les bords de l’Arbia, petite rivière qu’on passe à quelques milles après Sienne, sur la route de Rome.

Dante a exprimé avec sa précision et sa vigueur accoutumées combien fut sanglante cette bataille, qu’il appelle « le carnage et le grand massacre qui colorèrent en rouge l’Arbia[1]. » On conserve et l’on montre encore aujourd’hui, dans la splendide cathédrale de Sienne, le crucifix qui servait de bannière aux Siennois, ainsi que le mât planté sur le carroccio des Florentins, et qui portait leur étendard[2]. Il y a plaisir à voir de ses yeux, à toucher de ses mains, un semblable trophée. Il fut vaillamment conquis et vaillamment disputé. Un Florentin, nommé Tornaquinci, périt avec ses sept enfans en défendant le carroccio. On croit assister aux luttes de Mécène et de Lacédémone.

Un récit contemporain de cette bataille célébrée par Dante vient d’être retrouvé et publié à Sienne[3] ; c’est un récit de chronique auquel par moment la simplicité communique une touchante poésie. Le syndic Buona-Guida propose au peuple de donner la ville et le pays à la vierge Marie. « Et le susdit Buona-Guida se dépouilla le chef et les pieds, puis en chemise, la corde au cou, il fit enlever les clés de toutes les portes de Sienne, et, les ayant prises, il marcha à la tête du peuple, qui était déchaux comme lui, avec larmes et gémissemens ; il se rendit à la cathédrale, et tout le peuple, y étant

  1. Inf., c. X, 85.
  2. On sait que le carroccio était une sorte de palladium ambulant des républiques italiennes du moyen-âge.
  3. La Sconfita di Mont-Aperti trattata d’un antico manoscritto, publicato per Honorato Porri.