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parait avoir éprouvé un triste désappointement à la lecture de ces nombreuses et imparfaites compilations, si mal à propos décorées du titre ambitieux d’histoire de France. Les travaux de seconde main, où il avait la plupart du temps cherché sans profit l’intérêt et l’instruction réelle, l’avaient laissé, comme il arrive souvent, sous une vague impression d’ennui. Il eut recours aux sources premières, aux monumens contemporains ; il interrogea, comme il le dit, les vieilles mœurs, les vieilles idées, les vieilles lois, la vieille foi, le vieux langage, et alors les impressions changèrent : il trouva l’admiration là où il craignait de rencontrer encore la fatigue et l’ennui, et l’enthousiasme là où il n’attendait que l’intérêt. Mais il eût prudemment agi, nous le pensons, en se défiant quelque peu de cet attrait vif et imprévu, de cette sorte de séduction qu’inspire une étude nouvelle. Il y a danger pour la vérité historique à s’éprendre ainsi de la poésie des chroniques, et d’autre part il nous semble injuste (nous ne parlons ici ni du père Daniel ni de Velly) de comprendre dans une universelle réprobation les livres modernes relatifs à notre histoire, livres qui, au jugement de M. Laurentie, la rendent à peu près tous méconnaissable, parce que les uns, par une érudition sèche et pédante, l’ont dépouillée de sa poésie, les autres, par une philosophie frivole, de sa gravité. C’est pour protester contre ces sacriléges historiques, c’est pour rendre au passé sa physionomie véritable que M. Laurentie a composé ce livre : il le dit dans sa préface.

C’est là certes une œuvre difficile qui demande plus qu’une volonté ferme et le patient courage de l’érudition, et si l’auteur n’a pas toujours atteint le but qu’il s’est proposé, il l’a du moins cherché avec esprit ; mais il s’est placé à un point de vue trop tranché pour ne point trouver de contradicteurs. D’abord, comment partager l’admiration de M. Laurentie, son enthousiasme pour les choses et les hommes du passé, quand on suit, à travers le drame de ses récits, tous ces meurtres qui n’arrachaient pas même à Grégoire de Tours un mot de colère et d’indignation ? Lorsque l’auteur dit naïveté, je dirai souvent barbarie, et je verrai le chaos là où il est disposé à voir le progrès ; quelquefois même le sens de certaines pensées m’échappera entièrement, comme dans cette phrase, relative aux miracles qui signalèrent quelques expéditions de Clovis : « Ne nous étonnons point de ces récits, ils sont toute l’explication de l’histoire. » Sans être voltairien le moins du monde, un peu de scepticisme n’est pas inutile, surtout à pareille distance. Cette foi si volontairement soumise ne choque pas chez les bollandistes ou les bénédictins ; mais en réalité cela sent trop son cartulaire, ou, si l’on aime mieux, son premier Paris de la Quotidienne.

Les siéges ou les batailles n’occupent dans ce livre qu’une place très secondaire. M. Laurentie ne s’applique à décrire les combats que dans ces momens de luttes solennelles, qui font la gloire d’un peuple dans l’avenir ou son deuil pour tout un siècle, Bouvines ou Poitiers. Ce qu’il veut savoir, ce qu’il veut apprendre, comme science de la vie et de l’avenir, c’est la cause et la fin suprême de tout évènement ; et, en cherchant à soulever le voile profond qui couvre les âges évanouis, il remonte toujours, comme à la raison première des faits de ce monde, vers l’éternelle pensée qui est la providence pour la foi chrétienne, et la fatalité pour une philosophie sceptique. Ainsi, désastres publics, immolations sanglantes, crimes sans noms, intrigues mystérieuses, rivalités des hommes et des races, chaque chose prend sous sa plume un sens