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groises, au contraire, a été très légitimement couronné par l’Académie des inscriptions, et nous aurions vraiment mauvaise grace à ne pas être du même avis.

Il y a déjà, sans nul doute, de bons travaux sur la Hongrie. Sans parler des livres de Bonfini et de Katona, des corps d’historiens recueillis par Thurocs et Bongars, le livre du jésuite Pray a une réputation établie et méritée. Le travail de Sacy est connu aussi ; mais on peut le regarder comme médiocre. M. Dussieux a tort, je crois, d’ajouter au-devant du nom de cet écrivain le nom de Sylvestre, qui se rapporte à une mémoire toute moderne, et bien autrement glorieuse. L’auteur des deux volumes publiés en 1778 était un honnête censeur royal, membre de quelques académies de province, lequel, si je ne me trompe, n’avait rien de commun avec les Le Maistre de Sacy de Port Royal, ni avec l’illustre orientaliste mort récemment.

Peu importe, d’ailleurs, ce mince détail. Si la science possédait déjà d’estimables ouvrages sur l’histoire de Hongrie, il est sûr que nulle part la question obscure, difficile, aride, des invasions n’avait été sérieusement traitée. En éclaircissant avec perspicacité et patience cette minutieuse et longue question, M. Dussieux est arrivé à quelques résultats nouveaux et utiles. Il a déterminé avec netteté la date, le nombre et l’importance des différentes excursions hongroises, si souvent confondues par les historiens du moyen-âge avec celles des Normands et des Sarrasins.

L’histoire des mœurs a aussi quelque profit à tirer de cette publication, et il n’est pas sans intérêt de comparer le portrait de ces Hongrois envahisseurs avec celui que les écrivains de l’Occident nous ont laissé des autres barbares. On se les représente volontiers avec leurs cheveux rasés, pour ne donner aucune prise à l’ennemi ; avec leur visage jaune et osseux, non vultus, sed ossa. Que devait être un peuple chez lequel les mères mordaient les enfans au visage, dès leur naissance, pour les habituer à la douleur ? Aussi imprimaient-ils une terreur universelle dans leurs invasions. À la fin du IXe siècle, un évêque de Verdun consultait sérieusement un moine lettré, pour savoir si ces bandes n’étaient pas les terribles peuples de Mog, dont il est parlé dans l’Apocalypse. Muratori a conservé aussi deux chants latins du Xe siècle, qui se rapportent aux Hongrois, et qui sont curieux et peu connus. Le premier est une invocation à je ne sais quel saint italien ; dans cette cantilène populaire, le patron est supplié d’éloigner les Hongrois ; on le prend même par la flatterie, en lui rappelant sa puissance au temps d’Attila :

Nam doctus eras Attilœ temporibus
Portas pandendo liberare subditos.

Le second morceau cité par Muratori est plein d’énergie : c’est un chant de guerre des soldats assiégés dans Modène par les Hongrois ; il s’adresse successivement à la nature, aux murailles elles-mêmes, à tout enfin, pour provoquer une courageuse résistance, et il se termine par ce refrain :

Resultet Echo comes : eia vigila !
Per muros eia dicat Echo vigila !

L’Occident presque tout entier dut subir les courses redoutables des Hongrois. En Saxe, on célèbre encore chaque année, sur le lieu de la bataille, la fête traditionnelle d’une victoire remportée sur eux en 933. Leur première