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mouvemens anarchiques de sa conscience. Lorsque, lassé de chercher en vain, à travers ce siècle superstitieux d’une part et incrédule de l’autre, une formule qui éclairât sa croyance, il succombait à un désespoir sublime, il écrivait d’une main brûlante de fièvre « Mourir ! redevenir le rien que j’étais avant de naître à la vie et à la douleur vivante ! »… « Le silence de ce sommeil sans rêve, je l’envie trop pour le déplorer ! »… « Les hommes deviennent ce qu’ils ne s’avouent pas à eux-mêmes, ce qu’ils n’osent se confier les uns aux autres. » Mais ces heures de découragement n’attestent-elles pas la lassitude douloureuse d’une ame qui s’épuise à la recherche d’une certitude d’immortalité ? Dans son dialogue avec la fée des Alpes, Manfred raconte ainsi sa vie ; je cite ce passage à dessein, pour montrer que cette vie passée de Manfred est bien celle de Faust, mais que celui qui la raconte n’est plus Faust, car il croit à l’immortalité de l’intelligence.

« Dans mes rêveries solitaires, je descendais dans les caveaux de la mort, recherchant ses causes dans ses effets ; et de ces ossemens, de ces crânes desséchés, de cette poussière amoncelée, j’osais tirer de criminelles conclusions. Pendant des années entières, je passai mes nuits dans l’étude des sciences autrefois connues, maintenant oubliées ; à force de temps et de travail, après de terribles épreuves et des austérités telles qu’elles donnent à celui qui les pratique autorité sur l’air, et sur les esprits de l’air et de la terre, de l’espace et de l’infini peuplé, je rendis mes yeux familiers avec l’éternité… Et, avec ma science, s’accrut en moi la soif de connaître, et la puissance et la joie de cette brillante intelligence jusqu’à ce que… »

Ici, Manfred raconte l’épisode d’Astarté qui a le tort de ressembler à l’histoire de René et d’Amélie de M. de Chateaubriand ; mais ceci s’est fait, à coup sûr, à l’insu de Byron : son génie était fait de telle sorte que les réminiscences y prenaient souvent la forme de l’inspiration. Puis Manfred reprend :

« Je me suis plongé dans les profondeurs et les magnificences de mon imagination autrefois si riche en créations ; mais, comme la vague qui se soulève, elle m’a rejeté dans le gouffre sans fond de ma pensée. Je me suis plongé dans le monde, j’ai cherché l’oubli partout, excepté là où il se trouve, et c’est ce qu’il me reste à apprendre. Mes sciences, ma longue étude des connaissances surnaturelles, tout cela n’est qu’un art mortel : — J’habite dans mon désespoir, et je vis et vis pour toujours ! »

Lorsque Manfred approche de son agonie, il s’adresse au soleil, et, admirant la nature comme Faust, il lui parle pourtant comme Faust n’eût pas su le faire :