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DU GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF EN FRANCE.

Ces bases ont subi la seule épreuve qui constate authentiquement la vitalité des idées, car elles sont devenues assez puissantes pour que personne ne consente à s’avouer leur adversaire. Lorsque M. de Bonald écrivait sa Législation primitive, M. de Maistre son Essai sur le principe des Constitutions politiques, M. de Montlosier sa Monarchie française, M. Bergasse ses brochures sur la propriété ; lorsque des publicistes si nombreux et d’un si grand talent jetaient le gant à l’idée de 89, on pouvait peut-être douter de sa victoire. Mais ne voyons-nous pas aujourd’hui le parti légitimiste, même dans ses plus violentes manifestations contre le mouvement de 1830, réduire toute sa polémique à une question isolée d’hérédité royale, se gardant bien de formuler conformément à son principe les lois de l’organisation sociale ? La tâche de ses principaux publicistes n’est-elle pas, au contraire, de concilier le dogme spécial à cette école avec l’ensemble du droit public de la France révolutionnée ?

Il reste sans doute, dans une certaine classe de la société française, un fonds de traditions qui, durant des années encore, pourra bien maintenir, pour les actes principaux de la vie civile, une barrière entre les personnes. C’est là l’œuvre des mœurs qui survivent aux idées elles-mêmes ; mais dans ces impressions du foyer domestique il serait assurément difficile de trouver trace d’un système, encore moins d’une théorie politique. L’esprit nobiliaire n’a rien de commun d’ailleurs avec l’esprit aristocratique dans le sens véritable de ce mot.

Vous le savez, monsieur, notre noblesse, toujours imprévoyante et légère autant que la vôtre le fut peu, ne songea jamais, même aux jours de sa puissance, à constituer la société et le gouvernement au profit de son influence réelle ; il lui suffit que l’une et l’autre fussent au profit de sa vanité. La restauration tenta vainement de reprendre cette œuvre et d’infuser à la France, à l’imitation de l’Angleterre, cet esprit de perpétuité traditionnelle, appuyé sur la double base de l’immutabilité de la propriété dans les familles, et de la transmissibilité héréditaire du pouvoir dans un patriciat fortement constitué. Comment ne pas reconnaître que le sol français a constamment frappé de stérilité une idée dont je nie bien moins ici la grandeur que la possibilité d’application ?

Pour organiser la société selon le principe d’une hiérarchie mobile et viagère, la révolution de 89 n’eut guère qu’à continuer, sous un point de vue différent, l’œuvre même de la monarchie absolue. Quelque incertain que soit l’avenir, quoique dans cet océan battu par la tourmente il puisse y avoir un flot pour chaque homme et pour