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LETTRES DE GANS.

peut, disait Gans dans cet article, en tirer quelques idées pour apprécier le caractère de ce siècle-ci. Dans la vie comme dans l’art, notre siècle ne semble plus se plaire à ce qui est grand et élevé, à ce qui émeut et agite fortement. Ses héros sont des héros modérés, des héros pacifiques, dont l’aspect ni l’idée n’entraîne personne, et dans qui, de loin comme de près, on reconnaît aisément ses semblables. On aime, on estime, on applaudit ; on ne vénère plus parce que la vénération est toujours liée à un sentiment de crainte. Dans l’art non plus, ce ne sont pas les choses majestueuses et les grandes images qu’on aime à contempler, car personne ne s’y reconnaît ; elles n’offrent à personne un miroir commode pour y contempler à son aise l’image de sa propre nature. L’art ne cherche donc plus à élever les ames. Il tend au plaisir, et encore est-ce au plaisir pacifique, au plaisir d’intérieur. L’art, aujourd’hui, est le serviteur des arts de détail. Tout ce qui est grand et majestueux, tout ce qui remue les ames n’est plus que fâcheux et incommode. Ce sont choses qu’il faut écarter comme exagérées, ou tout au plus admettre çà et là pour faire ombre au tableau. Le siècle a trouvé un mot admirable pour désigner, en le blâmant, le grand et le sublime qu’il ne peut plus souffrir : c’est exclusif, dit-il ; il a raison. Tout ce qui est grand est exclusif parce qu’il se distingue et se place à part et en avant, parce qu’il se met en saillie et en lumière. Ce que le siècle loue comme impartialité et comme étendue, c’est cette souplesse et cette docilité avec laquelle l’art se prête au public et se rapetisse. Il n’y a plus aujourd’hui de tragédie et de comédie, il y a des acteurs qui jouent. On confond ce qu’on joue et ceux qui jouent. Dans un spectacle, le public ne voit plus qu’un grand salon. Point donc de grandes originalités ; elles dérangent le niveau, l’égalité, et l’égalité est nécessaire en société. Point d’émotions, on ne vient point dans ce monde pour retourner chez soi tout ému et tout bouleversé. Plus d’enthousiasme non plus ; du plaisir. Le public ne donne plus de couronnes, mais il envoie des baisers ; il n’admire plus, il caresse.

« Que faut-il pour répondre à cette disposition des esprits ? Une réunion de talens où aucun n’a la prétention de dominer, car cela dérangerait l’ensemble, ce qui serait impardonnable, une réunion de talens qui se prêtent appui les uns aux autres, qui se soutiennent en formant une agréable harmonie. Tel est le talent de Mlle Sontag. »

Il y a certes dans ce portrait de notre siècle beaucoup d’esprit, il y en a même trop, et je ne dis pas que tout soit vrai. Supposez cependant un siècle qui marche à l’unité de tous les peuples civilisés,