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REVUE LITTÉRAIRE.

prépondérans aujourd’hui, membres, pour la plupart, des autres sections de l’Institut et des grands corps de l’état, cumulant les dignités de tout genre dues à leur mérite, n’ont pas senti très vivement qu’à l’Académie Française ils étaient là peut-être pour introduire plus directement des hommes bien moins arrivés qu’eux à tous égards, mais qui sur ce terrain de littérature les valent, et qui, dans leurs travaux persévérans, n’en sont jamais sortis. C’eût été demander trop, dans notre société actuelle, que tant de générosité et de liberté d’esprit ; même quand on est élevé au sommet, on ne fait que ce qui sert ; et les hommes de lettres non politiques et non journalistes, à quoi servent-ils ? Daigne-t-on s’apercevoir d’eux seulement ? Voilà, en termes assez francs, comment il se fait que les adjonctions illustres, qui n’ont pas manqué à l’Académie Française depuis dix années, ne lui ont pas apporté de force réelle intérieure et de vie spéciale. Les littérateurs distingués qui, par des vers, par des romans, par des travaux appropriés, ont mérité, il y a déjà quinze à vingt ans, de soulever la colère des classiques d’alors, sont encore à attendre justice officielle et académique, si tant est qu’ils s’en soucient. Le reste de la vieille école occupe toujours une bonne moitié des fauteuils de l’Académie où elle se tient coi ; l’autre moitié a été graduellement cédée à d’illustres novateurs dans les branches de la philosophie et de l’histoire, les aînés la plupart des plus humbles confrères que, du haut de la dignité de leurs genres, et dans l’importance de leur vie positive, ils n’ont jamais daigné reconnaître comme des égaux. Il serait trop aisé d’éclaircir tout ceci par quelques noms propres. Le fait est que M. Victor Hugo n’est pas de l’Académie Française et qu’il ne paraît pas certain qu’il y entre bientôt. Il se refuse, on nous l’assure, à se mettre en compétition avec M. Berryer ; du moment qu’on ferait de l’exclusion de celui-ci une affaire d’état, nous concevrions que M. Hugo ou tout autre répugnât à se laisser porter comme adversaire. Enfin on n’a pu jusqu’à présent susciter à M. Berryer aucune concurrence formidable ; je me trompe grace à l’importance de ce tracas, M. Casimir Bonjour (nous avons peine à le dire) n’est pas sans quelque chance, on le prétend. Jamais dans ses choix de pis-aller, l’Académie Française ne serait encore descendue si à terre. À prendre les choses dans un certain sens désintéressé, il serait piquant qu’elle le fît.


Penserosa, poésies nouvelles, par Mme Louise Colet[1]. — Le dernier poète lauréat de l’Académie, Mme Colet, publie, sous ce titre un peu plus pensif qu’il ne lui sied sans doute, un élégant et brillant volume qui lui promet un rang désormais parmi nos muses. Il est impossible de refuser à l’auteur de ces vers l’harmonie, l’éclat, la fermeté, une touche large et sonore. La poésie de Mme Colet ressemble à une belle personne ; elle a des formes et du corps, de

  1. Delloye, place de la Bourse, no 13.