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REVUE LITTÉRAIRE.

breux, si faible et si incertaine qu’elle soit, permet du moins de distinguer les grandes masses et les mouvemens les plus significatifs. Nous reconnaîtrons volontiers que la plupart des historiens de nos jours, en s’emparant des révélations bégayées par une science née d’hier, s’en servent avec peu de discrétion. Ils ne manquent plus de tracer la généalogie du peuple auquel ils consacrent leur plume ; ils précisent l’emplacement de son berceau, l’époque de son émigration, sa marche et ses temps d’arrêt à travers les régions non encore frayées : ils décrivent la rencontre des hordes errantes et le refoulement des unes par les autres, les oscillations qui en sont la suite, et enfin le classement qui s’opère à mesure que l’équilibre s’établit entre elles. Il se peut que M. Walckenaër repousse comme autant de rêveries les hypothèses de ce genre : ce ne serait qu’une raison de plus pour regretter que les hautes prétentions de l’ethnographie n’eussent pas été discutées par un de ces savans en qui l’on aime à retrouver la parfaite intelligence des textes classiques, la dévotion à la lettre écrite, la sagacité prudente, la candeur littéraire, et, en un mot, les honorables traditions de notre glorieuse école bénédictine.

Ces observations se rapportent surtout au premier chapitre de la Géographie ancienne, qui est, à coup sûr, insuffisant. L’auteur parle très vaguement des colonies tyriennes, phéniciennes ou égyptiennes, qui, suivant la tradition gréco-latine, ont peuplé les terres occidentales. Malheureusement les assertions de la vénérable antiquité se trouvent audacieusement démenties par la science moderne. On sait qu’un infaillible moyen de distinguer les peuples qui ont successivement occupé une contrée, est de débrouiller les élémens qui ont concouru à former la langue qu’on y parle. Or, l’analyse de tous les dialectes européens, depuis ceux qu’on peut considérer comme primitifs jusqu’aux plus récens, a été entreprise avec une ardeur et un ensemble qui présagent les plus brillans résultats. Jusqu’ici, il a été reconnu qu’en effet les Égyptiens et les Tyriens, ou, pour parler plus exactement, les peuples de race arabique, ont dû longer le littoral africain, et pénétrer en Europe par le détroit de Gibraltar ; mais ils ne paraissent pas avoir dépassé de beaucoup la zône méridionale que baigne la Méditerranée. Pour découvrir les véritables ancêtres des peuples européens, il faut se tourner vers la haute Asie, et se représenter, dans l’angle formé par l’Oxus et par l’Indus, une race noblement féconde, laissant déborder de tous côtés sa population exubérante : au midi, procréant cette société indienne dont la littérature sanscrite est l’expression impérissable ; à l’opposé, poussant les générations par flots successifs et les faisant ainsi remonter jusqu’au nord pour les déverser en Europe, où ils se condensent définitivement.

On n’a pas osé décider tout d’abord si les langues des anciens Celtes dérivaient, comme celles de la Germanie, de la source indienne ; mais les doutes se sont dissipés peu à peu, et l’académie à laquelle M. Walckenaër appartient a sanctionné l’affirmative en couronnant des travaux que nous allons bientôt avoir occasion de rappeler. Les six dialectes connus de la langue celtique