Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/76

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
72
REVUE DES DEUX MONDES.

inspirations, ne songeraient pas même à contester ce qui est bien moins un privilége constitutionnel que le vœu même de la nature.

Le peuple verrait avec joie diminuer les charges qui pèsent sur lui ; il aimerait à ne plus porter au percepteur sa cote mobiliaire et sa cote personnelle, à ne pas payer chaque année à l’état l’impitoyable impôt du sang ; le pauvre serait heureux d’assaisonner d’un sel abondant les mets insipides dont se nourrit sa misère. Mais les droits politiques, le suffrage universel, les parlemens annuels, tout ce qui fait vibrer la fibre populaire dans vos réunions tumultueuses, il ne s’en préoccupe guère plus que de la pierre philosophale.

L’union de Birmingham vota, l’année dernière, une adresse de chaleureuse sympathie au comité chargé de promouvoir en France la réforme électorale, et de réclamer les droits politiques pour tous les gardes nationaux. L’identité des mots fit sans doute croire à l’identité des choses ; on ne devina pas à Birmingham qu’une formule qui avait remué jusqu’en ses fondemens le sol des trois royaumes, parce qu’elle tendait à briser le monopole du pouvoir aux mains de l’aristocratie, n’était, dans la France de 89 et de 1830, qu’un mot sans écho et sans portée.

Faut-il vous apprendre ce que sont devenues les pétitions pour la réforme, avec quelle facilité empressée on les a sacrifiées à la chance d’approcher du pouvoir durant le cours de la session dernière ? Faut-il constater ce qu’il y a de vague et d’incohérent jusqu’ici dans les vues des publicistes qui la réclament ? Ce n’est pas avec un tel caractère d’indécision et de mollesse que se produisent chez nous les questions vraiment populaires et nationales. Est-ce ainsi que la France traita le droit d’aînesse, imposé à la restauration par le parti qui la dominait ? Fut-elle aussi patiente, lorsque le ministère du 6 septembre, par une combinaison malhabile et un mot mal sonnant, parut réveiller un souvenir du droit féodal ? S’il peut être convenable de modifier en quelque chose notre législation électorale, ce que je ne conteste pas, et vous apprécierez plus tard la nature de mes motifs, cette convenance ne résulte en rien des exigences impérieuses de l’opinion, et c’est dans une sphère de haute prévoyance politique que cette question peut être débattue. Il semble, du reste, assez facile d’en prévoir l’avenir. En face d’une opinion extérieure dont l’indifférence est manifeste, la réforme électorale sera agitée, abandonnée ou reprise, selon les temps et les intérêts, selon qu’on sera plus ou moins éloigné du pouvoir ; elle deviendra une arme dans la stratégie parlementaire plutôt qu’un moyen de provoquer le concours énergique