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ÉTUDES SUR L’ALLEMAGNE.

plus constans et les plus généraux. Cela tient à ce que les habitans de l’Allemagne occupent encore la terre qu’ils occupaient primitivement, et ne se sont pas mêlés avec d’autres peuples. Le fonds des mœurs et des habitudes, tout ce qui tient, soit au caractère d’une nation, soit à l’influence des circonstances physiques qui l’environnent, a donc dû se perpétuer de soi-même, et cela seul a changé qui tient aux formes variables de la civilisation. On retrouve chez les Allemands, comme du temps de l’historien romain, les yeux bleus et un peu farouches (truces), les cheveux blonds, les grands corps (magna corpora), moins capables, malgré leur force apparente, de supporter long-temps la faim, la soif, le froid et le chaud, que ceux de races plus petites et d’un aspect moins robuste. Les bases du régime féodal existaient dans la constitution tout aristocratique des Germains : les empereurs furent électifs comme les rois l’avaient été primitivement. Le goût et les habitudes de liberté, signalés par Tacite, ne se montrent que trop dans les périodes d’anarchie dont l’histoire d’Allemagne est pleine, et dans cette innombrable quantité d’existences indépendantes que comportait l’organisation de l’empire germanique. Depuis la chute de ce vieil édifice, les formes nouvelles de la liberté démocratique ont eu peine à prendre racine sur ce sol ; et c’est en général au profit du pouvoir monarchique que tant de priviléges, de droits particuliers, de franchises locales, ont péri ; mais ces envahissemens ont été facilités par un sentiment de dévouement aux princes qui, chez les anciens Germains aussi[1], s’alliait à la passion de l’indépendance. Les Allemands d’aujourd’hui ont un grand attachement pour leurs souverains, là surtout où ils obéissent aux mêmes familles qui ont gouverné leurs aïeux pendant des siècles, et ils leur témoignent une vénération qu’ailleurs on pourrait juger servile, mais qui a une source respectable dans ce dévouement traditionnel que toute la puissance des idées modernes a souvent peine à entamer. Les Romains vantaient la valeur guerrière des Germains ; leurs descendans, si belliqueux dans tout le cours du moyen-âge, sont encore d’excellens soldats. À défaut de gouvernemens libres, on leur a fait des monarchies militaires, satisfaisant un besoin pour en tromper un autre. Si nous avons remporté sur eux tant de victoires, nous l’avons dû bien moins à l’infériorité de leur courage qu’à leur lenteur méthodique, souvent déconcertée par la vivacité et la promptitude de nos mouve-

  1. Illum (principem) defendere, tueri, sua quoque fortia facta gloriæ ejus adsignare, præcipuum sacramentum est. Principes pro victoriâ pugnant, comites pro principe. (Germ., XIV.)