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consultées par les historiens à qui l’on doit le récit de ces premiers âges, il en résulte qu’il n’y a pas lieu de tant douter sur les origines, ni de tant attribuer que l’a fait Niebuhr à l’imagination populaire, aux chants nationaux et aux légendes épiques. De ce qu’il y a des fables, ce n’est pas raison de tout rejeter.

Tite-Live, le parrain le plus brillant de cette histoire demi-fabuleuse de Rome au berceau, a été aussi le principal auteur du doute, lorsqu’en commençant son sixième livre il a dit : « Jusqu’ici notre histoire est assez obscure. D’abord on écrivait peu ; ensuite les souvenirs qu’avaient pu conserver les mémoires des pontifes et les autres monumens publics ou particuliers, ont presque tous péri dans l’incendie de Rome… pleraque interiere. » Voilà le passage formel par où le doute s’est introduit ; M. Leclerc, à l’aide d’une multitude de textes de Polybe, de Denys d’Halicarnasse, de Caton, de Cicéron, de Varron,… de Tite-Live lui-même, s’efforce habilement de le combler et de réparer la brèche où se sont précipités sceptiques germains et gaulois, comme à la suite de leurs aïeux barbares.

On commence d’ordinaire par opposer aux novateurs que ce qu’ils disent est inoui ; puis, au second moment, on s’avise de leur répondre que ce qu’ils croient inventer n’est pas nouveau. Pourquoi donc, peuvent-ils répliquer, se tant effaroucher d’abord ? C’est qu’il y a des choses qu’on n’aperçoit et qui ne prennent au vif que du jour où elles sont dites d’une certaine manière.

En France, d’ailleurs, on aime assez que les idées, comme les vins, nous reviennent de l’étranger. Un petit voyage d’outre-mer ou d’outre-Rhin ne fait pas mal pour mettre en vogue. C’est ainsi depuis long-temps dans les plus petites comme dans les grandes choses : Dufreny, avant Wathely, avait déjà tenté le genre des jardins dits anglais, qu’on a repris ensuite de l’Angleterre, tout comme Beaufort ou Pouilly nous est revenu par Niebuhr, comme le rationalisme de Richard Simon nous revient par Strauss.

Les idées, sinon les individus, gagnent à ces évolutions. Pour me tenir à l’exemple présent de Niebuhr, je suis singulièrement frappé (à ne juger qu’en ignorant et en simple amateur) du résultat final de toute cette guerre sur la première Rome. Niebuhr passe pour battu, et il ne l’est pas autant qu’on veut bien dire. Sa Rome étrusque a peu réussi, et l’on raille même agréablement ses grandes épopées latines : mais, tout à côté, on raille aussi ces vieilles fables qu’on n’adoptait pas sans doute, mais qu’on relevait peu jusque-là ; on parle très lestement de Tite-Live ; on va même un peu loin peut-être en disant de son pleraque interiere que c’est la facile excuse d’un rhé-