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commune, les jacobins accusaient la Gironde de projets monarchiques ; la Gironde leur renvoyait l’accusation en les traitant d’anarchistes, de sorte que, ballottés entre ces récriminations contraires, les patriotes des départemens cherchaient en vain à démêler la vérité. Cependant l’influence de quelques hommes éminens et un instinct inné de modération faisaient pencher la plupart des républicains bretons vers le parti girondin. L’administration du Finistère surtout s’était hardiment prononcée en sa faveur. Dès le mois d’octobre 1792, elle avait envoyé une adresse pour sommer les quarante-huit sections de laisser aux députés de la droite une pleine liberté. « Songez, disait cette adresse, que la quatre-vingt-troisième portion de la république ne peut inspirer de terreur à une nation entière qui abhorre l’anarchie. Une seule ville ne fera point la loi à la France. Rappelez-vous à qui appartient la gloire de la journée du 10 août[1]. Que la convention nationale puisse travailler dans le calme à la constitution qu’elle nous prépare ; si elle ne le trouve point au milieu de vous, il est d’autres villes qui sauront le lui procurer. »

L’Europe presque entière menaçait en outre nos frontières, défendues par des volontaires sans souliers qui ne savaient point charger leurs fusils. Les caisses publiques étaient vides, l’industrie détruite, le commerce anéanti. Il n’y avait pas jusqu’aux habitudes de famille qui ne fussent suspendues. Les administrateurs de nos villes, sans cesse menacés par l’émeute ou les royalistes des campagnes, ne voyaient plus ni leurs femmes, ni leurs enfans ; ils mangeaient et dormaient au lieu des conférences, ayant à leurs côtés les décrets de la convention sous une paire de pistolets.

Pendant que tout semble ainsi chanceler, le peuple ne craint pourtant ni ne désespère. À chaque désastre, il oppose un courage plus grand. Toutes les côtes de la Bretagne étaient dégarnies de soldats, les forts en ruine et désarmés ; il suffit d’un appel, et soudain six mille volontaires se présentent ; mille ouvriers terrassiers accourent. On relève les épaulemens, on porte à bras le canon sur la crête de nos rochers, on gratte le salpêtre aux parois des caves pour fabriquer de la poudre, on arrache les gouttières aux manoirs féodaux pour fondre des balles. Les femmes cousent des guêtres qu’elles vont déposer sur l’autel de la patrie, les enfans font de la charpie, les vieillards s’enrôlent dans les compagnies de vétérans et apprennent l’exercice. Tout

  1. Les fédérés bretons contribuèrent plus que personne au succès du 10 août. Leur conduite fut si brillante, que la section Saint-Marceau déclara qu’elle changerait de nom et s’appellerait désormais section du Finistère.