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les appartemens des femmes rayonnèrent de joie, comme lorsque l’air brille des rayons de la lune automnale. »

Ce qui résulte des réflexions précédentes, c’est que le dieu, étant partout et immédiatement présent, s’incarne à la fois dans plusieurs héros, dans une famille, dans toute une race d’hommes. Il converse avec lui-même, il se cherche, se poursuit, s’interroge, se répond, sans laisser presque aucune place à l’humanité pour agir et se développer. Les dieux se font hommes ; les saints, les ascètes, les héros, de vertus en vertus, deviennent dieux. Nul ne reste dans une condition, une forme précise. Tout s’agite au sein d’une même personne infinie, de l’Être éternel, qui éternellement se transforme dans chaque créature, dans le brin d’herbe, la vague du fleuve, le prince des serpens, le roi des hommes ; de telle sorte que le héros de l’épopée n’est que le héros du panthéisme. Dans la poésie homérique, les dieux et les hommes se partagent l’action ; leurs fortunes sont distinctes ; vous ne risquez pas de les confondre. Le ciel et la terre se font, pour ainsi dire, équilibre, et c’est une des causes d’où naît la sérénité de la poésie grecque. À l’autre extrémité de l’antiquité, chez les Romains, les dieux ont presque disparu ; du moins, ils n’ont conservé que le masque. Dans Virgile, des combinaisons purement humaines ont pris la place de la foi et de la religion ; c’est le défaut opposé à la poésie indienne qui, pour ainsi dire, enivrée d’elle-même, est un acte de foi plutôt qu’une œuvre d’art. L’Inde est la poésie ; la Grèce est le poète.

D’ailleurs, ces monumens ne retracent pas seulement l’histoire des croyances, ils peignent aussi au vif la nature physique et le climat de la Haute-Asie. À mesure que le héros voyage dans les forêts primitives, il interroge son guide sur l’histoire et la naissance des montagnes, des fleuves ; les images du berceau des choses occupent autant de place que le récit des actions. C’est là qu’il faut chercher ces images colossales et naïves qui tiennent tout ensemble de l’enfant et du géant, et qui furent la première géologie de l’humanité : les quatre éléphans monstrueux qui supportent le monde aux quatre points cardinaux ; l’île de Ceylan appuyée au fond de la mer, sur la carapace d’une tortue immobile ; le serpent qui, s’enlaçant autour des flancs des montagnes, les arrache de leurs fondemens. Chaque forêt, pour mieux dire, chaque fleur a son histoire. À la généalogie des tribus et des peuples s’ajoute celle des diamans, des perles, des lis ; car la création n’est point dépeinte comme achevée ; elle continue de vers en vers, et ses époques successives font elles-mêmes une partie des