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L’EUROPE ET LA CHINE.

la vallée du Mississipi auront poussé jusqu’en Californie[1] la conquête vaillamment commencée au Texas ? Que sera-ce lorsque les nombreux archipels de la Polynésie, qui s’échelonnent des Philippines aux îles Sandwich, et de celles-ci à la Nouvelle-Hollande, fécondés par le bateau à vapeur maritime qui semble avoir été créé pour leur usage, auront été un peu plus complètement colonisés par les entreprenans essaims que la race anglaise expédie partout du fond de la Grande-Bretagne ou des rivages de l’Amérique du Nord ?

On se préoccupe beaucoup de l’imminence d’une collision au cœur de l’Asie, entre l’Angleterre et la Russie. L’esprit de lutte qui anime les Européens pourra occasionner en effet un choc entre ces deux puissances ; mais je ne puis croire qu’elles s’acharnent l’une après l’autre et se déchirent long-temps. Je dirais qu’elles doivent s’entendre en Asie par la raison qui fait que les larrons s’entendent, si l’on pouvait qualifier de larcin les empiétemens qui servent la cause de la civilisation. Il y a place au soleil de l’Asie pour toutes les deux ; il y a une suffisante proie pour les rassasier, pour les gorger l’une et l’autre. N’est-il pas probable, au contraire, qu’après s’être observées, mesurées un instant peut-être, au lieu de s’entredétruire, elles se réconcilieront en faisant payer à l’empereur du Milieu[2] les frais du traité de paix ?

On sait quelle sensation a excitée chez les cabinets de l’Europe occidentale la mission de M. de Brunow, tendant à raccommoder Londres avec Pétersbourg, en coupant en deux, comme la tunique d’un mort, le ci-devant empire ottoman, et en allouant aux deux nations rivales Alexandrie et Constantinople, qui en effet leur siéraient bien. Il y a beaucoup de motifs pour que cette transaction soit déplaisante à d’autres nations de l’Europe, et notamment à la France et à l’Autriche ; de ce jour-là en effet, si les autres puissances n’obtenaient pas chacune un lot semblable, quelque habile que soit le cabinet de Vienne, quelque vaillans soldats que soient les Français, il n’y aurait plus en Europe que deux puissances ; la France serait l’humble suivante et servante de la Grande-Bretagne ; l’Autriche serait la vassale des moscovites. Mais le pacte doit être tout-à-fait du goût des deux hautes parties contractantes, quoiqu’on assure que l’Angleterre n’en veuille

  1. On assure qu’il y a déjà en Californie des villages peuplés par des émigrans venus des États-Unis, par l’état de Missouri ou celui d’Arkansas. Des caravanes régulières font le commerce entre les provinces septentrionales du Mexique et l’Union américaine.
  2. L’empire du Milieu est l’un des noms de l’empire chinois.