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COLOMBA.

— Vous êtes, dit-elle d’une voix émue, Orso Antonio della Rebbia ? Moi, je suis Colomba.

— Colomba ! s’écria Orso.

Et la prenant dans ses bras, il l’embrassa tendrement, ce qui étonna un peu le colonel et sa fille, car, en Angleterre, on ne s’embrasse pas dans la rue.

— Mon frère, dit Colomba, vous me pardonnerez si je suis venue sans votre ordre ; mais j’ai appris par nos amis que vous étiez arrivé, et c’était pour moi une si grande consolation de vous voir…

Orso l’embrassa encore ; puis, se tournant vers le colonel :

— C’est ma sœur, dit-il, que je n’aurais jamais reconnue si elle ne s’était nommée. — Colomba, le colonel sir Thomas Nevil. — Colonel, vous voudrez bien m’excuser, mais je ne pourrai avoir l’honneur de dîner avec vous aujourd’hui… Ma sœur…

— Eh ! où diable voulez-vous dîner, mon cher ? s’écria le colonel ; vous savez bien qu’il n’y a qu’un dîner dans cette maudite auberge, et il est pour nous. Mademoiselle fera grand plaisir à ma fille de se joindre à nous.

Colomba regarda son frère, qui ne se fit pas trop prier, et tous ensemble entrèrent dans la plus grande pièce de l’auberge, qui servait au colonel de salon et de salle à manger. Mlle della Rebbia, présentée à miss Nevil, lui fit une profonde révérence, mais ne dit pas une parole. On voyait qu’elle était très effarouchée, et que pour la première fois de sa vie peut-être elle se trouvait en présence d’étrangers gens du monde. Cependant dans ses manières il n’y avait rien qui sentît la province : chez elle, l’étrangeté sauvait la gaucherie. Elle plut à miss Nevil par cela même, et comme il n’y avait pas de chambre disponible dans l’hôtel que le colonel et sa suite avaient envahi, miss Lydia poussa la condescendance ou la curiosité jusqu’à offrir à Mlle della Rebbia de lui faire dresser un lit dans sa propre chambre.

Colomba balbutia quelques mots de remerciement et s’empressa de suivre la femme de chambre de miss Nevil pour faire à sa toilette les petits arrangemens que rend nécessaires un voyage à cheval par la poussière et le soleil.

En rentrant dans le salon, elle s’arrêta devant les fusils du colonel que les chasseurs venaient de déposer dans un coin : — Les belles armes ! dit-elle. Sont-elles à vous, mon frère ?

— Non, ce sont des fusils anglais au colonel. Ils sont aussi bons qu’ils sont beaux.