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WALTER RALEIGH.

reurs. Mais ce qu’il ne faut attribuer qu’à lui, c’est le coup-d’œil qu’il a jeté avant Bossuet sur la marche providentielle des empires, cette mâle et poétique unité du développement historique, cette liberté d’observations, cette simplicité de ton, cette richesse de résultats pratiques, ces images simples et nerveuses, cette originalité qui rappelle Montaigne, et cette fermeté grandiose qui n’est pas sans rapport avec l’aigle de Meaux. Voilà sa gloire. Il est pour la prose anglaise ce que Calvin est pour notre prose. Il occupe un trône dans la littérature anglaise. Plus pur et plus net que Bacon, il échappe au défaut des écrivains contemporains et antérieurs, au pédantisme. Comme Cervantes, qui était aussi un homme d’action, Raleigh a le premier introduit en Angleterre l’éloquence des choses et celle des idées. Se débarrassant de la citation et de la métaphore, il a employé la phrase nue, sortant, comme Minerve, franche et forte du sein de la pensée.

Quand Cecil et Somerset, l’un son ennemi, l’autre enrichi par la confiscation de ses biens, eurent quitté la scène, l’un enlevé par la mort, l’autre par la disgrace, Raleigh, qui avait reconquis l’estime par la fermeté de sa conduite pendant les débats de son procès, et la gloire par la publication de son livre, acheta sa liberté de la famille Buckingham, qui reçut quinze cents livres sterling du prisonnier et obtint sa grace. Cette gloire et cette estime, il va se hâter de les perdre.

VI. — DERNIÈRES SCÈNES.

Libre, il promit au roi une mine d’or, à ceux qui voudraient l’accompagner l’Eldorado. Jacques, toujours timide, averti par l’ambassadeur espagnol que les intentions de Raleigh sont d’aller faire la guerre aux possessions espagnoles, ne signe point de lettres de grace, n’accorde pas à Raleigh son pardon, « le laisse traîner après lui, comme dit éloquemment Raleigh, la chaîne de son supplice, » et insère dans la patente qu’il lui accorde une clause expresse portant défense d’attaquer les Espagnols. Il part. Son premier acte est de mettre à feu et à sang la ville espagnole de Saint-Thomas. Son équipage, qu’il veut engager à courir les mers, comme pirates, s’y refuse, se révolte, et le ramène à Plymouth. Là commence un nouveau drame que nous laisserons à un chroniqueur contemporain le soin de raconter. Ce récit, dénué d’élégance et même de clarté, a du moins l’avantage d’une exactitude minutieuse.