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SAVANTES.

se déchaîna de nouveau avec fureur contre l’empereur et le comte d’Haugwitz. La cour, la noblesse, l’armée, crièrent que la Prusse, déjà insultée à Anspach, était aujourd’hui immolée aux caprices de la France. On ne voulut point considérer le mal que l’empereur irrité aurait pu lui faire ; on ne sentit que la honte d’une alliance dictée à la pointe de l’épée. Quant à Frédéric Guillaume, il avait un sentiment très délicat de sa dignité, et, comme tous les hommes faibles, ce qu’il craignait le plus au monde, c’était qu’on eût l’air de le violenter. Dans cette pénible crise, il fit cause commune avec la cour et l’armée, et par cette nouvelle faute, qui cette fois n’était que trop motivée par les exigences hautaines de la France, il se perdit sans retour. Après la convention de Potsdam, la victoire d’Austerlitz et le traité du 15 décembre, il n’y avait pour Frédéric-Guillaume que deux partis à prendre : feindre d’accepter l’alliance et se concerter ensuite secrètement avec la Russie et l’Angleterre (c’était le système du baron de Hardenberg), ou bien rompre franchement avec ces deux puissances, embrasser hautement, sans arrière-pensée, le système français, prendre le Hanovre pour ne plus s’en dessaisir, dévouer toutes ses forces à son puissant allié, et mériter, par son ardeur à le servir, l’oubli de ses derniers torts. Ce système était celui du comte d’Haugwitz. La conscience délicate et timide du roi reculait également devant ces deux extrémités.

Il commença par supprimer dans l’acte du 15 décembre l’article 1er, qui stipulait l’alliance offensive et défensive, et qui était en quelque sorte tout le traité. Il refusa ensuite d’échanger les domaines héréditaires de sa maison contre une possession qui appartenait au roi d’Angleterre, et demanda que la France commençât par obtenir la renonciation de sa majesté britannique à l’électorat. Le comte d’Haugwitz fut encore chargé d’aller défendre à Paris les changemens qu’on voulait faire subir au traité du 15 décembre.

À la nouvelle que le roi avait complètement défiguré son ouvrage, Napoléon ne put maîtriser un mouvement de dédain et de colère. Sa première pensée fut de renvoyer sans l’écouter le négociateur prussien. Cependant, sur ses instances, il consentit à renouer les négociations ; mais, à dater de ce moment, tout espoir de se rattacher Frédéric-Guillaume fut détruit dans son esprit, et il le regarda comme un ennemi secret qu’il faudrait tôt ou tard abattre. Toute confiance, tous ménagemens cessèrent de sa part ; il avait le secret de sa faiblesse, et il en abusa.

Le roi avait demandé que la convention du 15 décembre fût an-