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REVUE DES DEUX MONDES.

Avant de s’embarquer à écouter sa confession générale et de s’engager par là à lui donner conduite, M. Singlin voulut d’abord savoir d’elle si elle se sentait disposée à quitter le monde au cas qu’un jour elle fût à même de le faire. Elle lui répondit en toute sincérité qu’oui. Cet aveu et ce vœu obtenus, il exigea qu’elle continuât de s’occuper de ses affaires extérieurement, tant qu’il le fallait, et sans lui permettre de les appeler misérables.

En habile docteur et praticien de l’ame qu’il était, M. Singlin, du premier coup d’œil, lui découvrit son défaut capital, cet orgueil qu’elle-même avait quasi ignoré, dit-elle, depuis tant d’années. C’est ce qu’aussi la duchesse de Nemours dénonce dans ses Mémoires en cent façons. Il est curieux de voir comme les incriminations de celle-ci, les indications de M. Singlin, et les aveux sincères de Mme de Longueville se rejoignent justement et concordent : « Les choses qu’il (l’orgueil) produisoit, écrit la pénitente, ne m’étoient pas inconnues ; mais je m’arrêtois seulement à ses effets que je considérois bien comme de grandes imperfections ; pourtant, par tout ce qu’on m’en a découvert, je vois bien que je n’allois pas à cette source. Ce n’est pas que je ne reconnusse bien que l’orgueil avoit été le principe de tous mes égaremens, mais je ne le croyois pas si vivant qu’il est, ne lui attribuant pas tous les péchés que je commettois, et cependant je vois bien qu’ils tiroient tous leur origine de ce principe-là. » Elle reconnaît à présent que, du temps même de ses égaremens les plus criminels, le plaisir qui la touchait était celui de l’esprit, celui qui tient à l’amour-propre, les autres naturellement ne l’attirant pas. Ces deux misérables mouvemens, plaisir de l’esprit et orgueil, qui n’en sont qu’un, entraient dans toutes ses actions et faisaient l’ame de toutes ses conduites : « J’ai toujours mis ce plaisir, que je cherchois tant, à ce qui flattoit mon orgueil, et proprement à me proposer ce que le Démon proposa à nos premiers parens : Vous serez comme des Dieux ! Et cette parole, qui fut une flèche qui perça leur cœur, a tellement blessé le mien, que le sang coule encore de cette profonde plaie, et coulera long-temps, si Jésus-Christ par sa grâce n’arrête ce flux de sang… » Cette découverte qu’elle doit pour la première fois dans toute son étendue à M. Singlin, cette veine monstrueuse qu’il lui a fait toucher au doigt et suivre en ses moindres rameaux, et qui lui paraît maintenant composer à elle seule l’entière substance de son ame, l’épouvante et la mène jusque sur le bord de la tentation du découragement. Elle appréhende désormais de retrouver l’orgueil en tout, et cette docilité même, qui paraît le seul endroit sain de son ame,