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Dardanelles, avec l’ordre formel et avoué de courir à Constantinople, si les Russes ou les Égyptiens y venaient ; qu’ensuite on eût proposé de laisser faire le sultan et le pacha, l’Angleterre, qui, à l’origine, était fort alarmée pour Constantinople, aurait accepté ce plan sans contestation. Ni les Russes ni les Égyptiens ne seraient venus à Constantinople ; on n’aurait pas eu à forcer les Dardanelles ; en laissant faire le sultan et le pacha, ils se seraient accordés à la suite de la bataille de Nézib ; on ne se serait pas chargé, par la fatale note du 27 juillet, de les mettre d’accord, et aujourd’hui tout serait fini.

Il faut le dire, il y a eu là de la faute de tout le monde, chambres et gouvernement, France et Angleterre.

Mais les choses n’ayant pas été ainsi dirigées, on s’est chargé de tout arranger soi-même, et on s’est mis à conférer à cinq sur l’arrangement à proposer au sultan et au pacha d’Égypte. M. de Metternich, qui s’était flatté de compléter la conférence en y amenant la Russie et de la diriger ensuite, est malheureusement tombé malade. Les conférences n’ont pas eu lieu ; on leur a substitué des pourparlers. L’Angleterre, qui était toujours inquiète des conséquences de cette question, avait une grande humeur contre le pacha, qui l’avait fait naître. Elle était trompée par les inspirations de l’homme le plus dangereux qu’on ait jamais envoyé dans aucune ambassade, de lord Ponsomby, esprit faux, emporté, brouillon, voulant à tout prix, et le disant même, faire sortir la guerre de la question d’Orient. Lord Ponsomby avait poussé le sultan à la guerre, et maintenant il imputait au pacha d’être la cause de la rupture. Il peignait les choses sous le jour le plus faux à son cabinet. Lord Palmerston, mal renseigné, s’est donc insensiblement animé contre le vice-roi. Il a, dans le courant de l’été de l’année dernière, proposé au ministère français de reprendre la flotte turque au pacha. Le ministère français a refusé, et a bien fait ; mais le refus a été connu et envenimé, l’aigreur a commencé. On s’est réciproquement interrogé sur ce que l’on voulait faire pour en finir ; on s’est peu ou pas expliqué, on s’est aigri davantage, et c’est alors que, vers l’automne de l’année dernière, la Russie, voyant naître une division entre la France et l’Angleterre, s’est proposé d’en profiter : elle a envoyé M. de Brunow à Londres.

Elle a offert à l’Angleterre de lui livrer le pacha d’Égypte, si elle voulait signer avec elle une convention ayant pour but de finir ensemble la question d’Orient. C’est là que le bon sens de l’Angleterre aurait dû l’éclairer sur un piége aussi facile à apercevoir. La Russie, en effet, n’avait pas grand intérêt à donner plus ou moins au