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qui compense l’alliance française. Cette alliance, il l’a jouée par entêtement, par caprice. Nouvel Esaü, il l’a rejetée pour un plat de lentilles.

Soit : mais pour en revenir après cette digression au point de départ, comment réalisera-t-il le prix de sa concession ? Comment expulsera-t-il Méhémet-Ali de la Syrie ? Par des croiseurs anglais ou par des baïonnettes russes ? En soudoyant des révoltés ou en débarquant des troupes ? Le noble lord veut délivrer l’Asie de la tyrannie du pacha ! Touchante philantropie ! Mais il est d’autres tyrannies dans ce monde, qu’on se le rappelle, plus odieuses encore que celle de l’Égyptien.

On veut, dit-on, bloquer les côtes de la Syrie. Cela n’empêchera pas Ibrahim d’étouffer la révolte. — On fournira des armes aux insurgés, probablement celles qu’on avait destinées aux Circassiens révoltés contre les Russes.

Bref, il paraît que les moyens de coërcition ne sont pas encore stipulés, ou du moins bien définis. Nous le concevons. Peut-être ne le seront-ils pas de long-temps.

Nous sommes convaincus que la sagesse de Vienne et de Berlin, que le bon sens du peuple anglais, que le courage et la modération du pacha, que la fermeté mesurée, mais inébranlable de la France, ne tarderont pas à mettre un terme à ces jeux d’une politique aventureuse et passionnée.

Mais quelle que soit l’issue, la France doit se mettre en mesure de suffire à tous les évènemens, à tout ce que pourront lui commander son intérêt, sa dignité, sa grandeur.

Que le gouvernement use largement de tout ce qu’il a de moyens et de pouvoirs légaux, et s’il pouvait craindre un instant l’insuffisance de ces moyens, qu’il convoque les chambres, et un vote unanime lui accordera avec enthousiasme tout ce qui sera nécessaire pour maintenir le rang de la France en Europe.

Certes, tout homme sensé doit regretter de voir la paix du monde compromise par de faux calculs et de mesquines passions ; mais au milieu de ces regrets, il sera beau de voir le pays maintenir noblement son droit par un grand élan national.


Les évènemens dont la Syrie est le théâtre en ce moment, en attirant sur cette contrée l’attention de l’Europe, feront voir encore plus clairement combien il importe, d’une part, que les bienfaits de la civilisation ne se retirent pas de cette terre où Méhémet-Ali a commencé à les répandre de nouveau, et de l’autre, la nécessité absolue où se trouve la France de ne pas permettre que les puissances européennes contraignent le pacha, en le forçant à maintenir un pied de guerre ruineux, à faire peser un joug trop dur sur des populations qui nous intéressent à tant d’égards. Sans parler des souvenirs glorieux que la France a imprimés sur ce sol qui a vu tant et de si grandes gloires, sans parler de l’enthousiasme et de l’admiration qu’elle a toujours inspirés aux populations chrétiennes qui sont placées sous sa protection, et aux musulmans mêmes,