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Revue Musicale.

Un vent de bénédiction a soufflé, l’autre semaine, sur la salle de l’Opéra. Les échos du théâtre ont dit : Taglioni ! et le public est accouru en foule comme aux jours anciens ; Taglioni ! et toutes les mains ont battu de plaisir dans les loges, et les bouquets ont volé dans l’air, et l’enthousiasme de l’âge d’or s’est retrouvé. À ce nom si doux, à ce nom magique, à ce nom de fée, la nature entière a tressailli, le torrent de Guillaume Tell s’est ému dans sa profondeur, les primevères de la sylphide ont frémi sur leur tige engourdie, comme aux atteintes d’une brise caressante, et le vieux rossignol de Lebrun a piaulé de joie dans son bosquet de roses. On eût dit un rayon de soleil après la saison du froid, une goutte de rosée dans le désert ; on eût dit le printemps et le renouveau. « Il n’y a de nouveau sous le soleil que ce qui est ancien. » L’auteur de cette parole est un grand philosophe et qui savait son Opéra par cœur. N’importe ! elle a dansé quatre fois ; puis, après avoir enchanté tout le monde, après être restée juste assez de temps pour réveiller tous les regrets de ceux qui l’ont perdue, elle s’est envolée dans son écharpe de gaze comme une vraie sylphide qu’elle est, évanouie comme une ombre, comme une illusion. Hélas ! que d’illusions l’Opéra a laissées s’envoler ainsi, illusions qui faisaient sa gloire et sa fortune ! Nourrit, Cornélie Falcon, Taglioni ! groupe harmonieux, inséparable, qu’on retrouve toujours là malgré soi. Qu’est devenue aujourd’hui cette ame brûlante, la seule qui ait jamais su comprendre l’inspiration de Meyerbeer et la rendre ? Qu’est devenue cette noble voix de jeune fille qui chanta Dona Anna ? L’ame s’est envolée, et la voix a suivi de près l’ame du maître, et la danseuse aimable de cette illustre période, Taglioni, s’est mise à courir le monde, en bohémienne aventureuse, en sylphide qui n’a d’autre patrie que l’air. Au fait, pourquoi resterait-elle ici ? pourquoi Paris plutôt que Londres, Berlin, Vienne ou Saint-Pétersbourg, Le monde qu’elle aimait, Nourrit, Mlle Falcon, Mme Damoreau, ce monde n’existe plus désormais. À coup sûr, elle n’est pas plus isolée à Saint-Pétersbourg qu’elle ne le serait ici, au milieu d’un troupeau de coryphées dont elle ignore jusqu’aux noms. Voilà cependant où conduit l’impéritie, voilà comment on mène à la ruine un des plus beaux théâtres qu’il y ait. Vous avez ouvert la cage, et les oiseaux mélodieux se sont enfuis à l’étranger. Là différentes destinées les attendaient. Le mal du pays a consumé les uns, les autres se sont acclimatés, ceux-ci ne reviendront plus jamais, ceux-là fendent l’espace, et si vous les saluez encore, c’est au passage ; s’ils se posent parmi vous, c’est, pour reprendre haleine et s’enfuir de nouveau vers des contrées qu’ils ignoreraient encore si vous ne leur en eussiez appris le chemin, vers ces douces contrées de neiges et de frimas, où les diamans fleurissent.

Dans le court séjour qu’elle a fait à Paris, Mlle Taglioni s’est produite dans la Sylphide, le Dieu et la Bayadère, la Fille du Danube. Avant de nous mon-