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peut-être, dans des littératures plus fécondes et plus célèbres, et il convient d’autant plus de les signaler, que les écrivains de la Hollande apportèrent pour la plupart, dans la pratique de la vie, l’élévation, la rigueur, et les vertus civiques qui étaient comme la source habituelle de leurs inspirations. Vondel fut le digne ami de Barneveldt, et les écrivains contemporains de ces hommes illustres se distinguèrent comme eux, par une simplicité de mœurs vraiment antique et un inviolable attachement à leur pays et à leur foi politique et religieuse.

La Hollande, qui a produit tant de poètes, compte à peine, par un singulier contraste, quelques prosateurs remarquables ; et je ne parle ici ni d’Érasme, ni de Grotius, ni de Spinosa, ni de tant d’autres encore, polygraphes, philologues, savants, dont les œuvres sont latines et qui, par-là, appartiennent en quelque sorte à l’Europe entière, mais seulement des écrivains que l’usage de la langue nationale, et un genre, plus accessible à tous, rend populaires. Ainsi, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, on ne trouve, en fait de romans dans la littérature hollandaise, que des traductions ou des imitations serviles. Mme Wolf, Déken et le libraire Adrien Loosjes ont tenté, pour la première fois et pour ainsi dire de notre temps même, ce genre de composition. Puis est venu M. Van Lennep, qui s’était d’abord essayé avec succès dans la poésie. Cet écrivain a publié deux romans d’un genre distinct : le Fils adoptif, étude de mœurs, et la Rose de Dékama, étude d’histoire. Ces romans ont fait bruit en Hollande, ils ont été traduits en Allemagne et favorablement accueillis. Serons-nous plus sévères que nos voisins ?

Le sujet de la Rose de Dékama est emprunté aux annales de la Hollande. La scène se passe en 1345. Guillaume IV, comte de Hollande, est sur le point de faire la guerre aux habitans de la Frise, et les députés de cette province sont arrivés à Harlem, en apparence pour traiter d’un arrangement pacifique, mais, en réalité, pour conspirer contre Guillaume et préparer, à la faveur des négociations, l’indépendance de leur pays. Le sire d’Ailva, noble Italien, que les hasards de la destinée ont poussé vers la Frise, est au nombre de ces députés ; sa pupille, Madzy, la Rose de Dékama, comme la nomment les ménestrels, l’a suivi près de Harlem. Madzy est jeune, belle ; on ne peut la voir sans l’aimer ; et Serp Adélen, l’un des députés frisons qui ont accompagné le sire d’Ailva dans son ambassade, est épris pour elle d’une vive passion. Mais la passion, pour devenir intéressante et prêter au roman, doit toujours trouver son obstacle. Cette fois encore l’obstacle ne se fera pas attendre. Deux jeunes Italiens, forcés de s’exiler comme le sire d’Ailva, sont au service du comte de Hollande. Une vieille amitié, que le malheur même a rendue plus forte, les unit dès l’enfance. Déodat et Renaud s’aiment mieux que des frères. Mais, hélas ! tous deux ont vu Madzy ; c’en est fait de cette amitié sainte. Ils luttent quelque temps, car ils redoutent une rivalité passionnée ; mais l’amour l’emporte. La vertueuse Madzy se trouve ainsi placée entre trois chevaliers également épris, que la plus légère préférence, un regard, un sourire, peut armer l’un contre l’autre. Adélen a toute la féroce ardeur d’un barbare, Renaud