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Balbi, le beau livre de M. Daunou sur les Garanties individuelles. La littérature grecque semble, pour long-temps encore, condamnée à cet état d’engourdissement, car la masse de la nation prend un intérêt médiocre aux œuvres de l’esprit. Il est difficile, en effet, qu’un peuple puisse produire quelque chose de grand lorsque son existence politique est incomplète, qu’il est tout à la fois déshérité de son passé, et incertain de son avenir.


Du commentaire de Proclus sur le Timée de Platon, par M. Jules Simon[1]. — Les plus hautes inspirations du génie antique ont échappé pour la plupart à la ruine qui semble menacer fatalement les œuvres de l’homme. Homère, Lucrèce, Virgile, Aristote, Platon, ont traversé les âges, comme pour nous consoler du terrible naufrage de toutes choses, en nous initiant aux mystères de la beauté suprême. Glorieux privilége ! les grands monumens de la pensée se sauvent par leur grandeur même. Ils surnagent et dominent, parce qu’ils gardent, bien au-delà des sociétés qui les ont vus naître, une puissance active et toujours présente, et en répondant aux besoins éternels de notre nature, en éveillant des sympathies qui ne sauraient se prescrire, ils restent, pour ainsi dire dans tous les temps, actuels et nécessaires. Chaque génération, aux époques les plus obscures, les reçoit et les transmet, comme un legs sacré, souvent même sans les avoir compris, et une sorte de respect traditionnel les protége contre la destruction. Au moyen-âge, dans les ténèbres et les incertitudes de l’esprit, les misères d’une société pénible, les extases de la foi, le docteur et le moine, tous ceux enfin qu’un faible rayon éclaire encore, se tournent vers Aristote et Platon, parce qu’un éternel pressentiment du vrai et du beau les attire à ces grands hommes, comme à un foyer toujours lumineux. Platon, pour les chrétiens, est toujours divin. Aristote règne en maître absolu. L’un, six cents ans après sa mort, se transfigure avec éclat dans l’école d’Alexandrie ; l’autre est médité, commenté, cité comme la Bible. Il importe donc de rechercher en dehors d’eux-mêmes, dans leurs disciples chrétiens ou païens, les transformations successives de leurs doctrines. Alexandrie est comme un sanctuaire reculé de Sunium. Le commentaire obscur du disciple éclaire souvent le texte immortel du maître. Ammonius procède de Platon ; et c’est par lui, par Plotin, Jamblique, Porphyre et Proclus, que les doctrines platoniciennes sont transmises au moyen-âge. Ainsi, pour savoir Platon, pour comprendre en bien des points la philosophie du moyen-âge, il faut savoir Proclus.

M. Simon, en choisissant pour sujet d’étude ce commentateur célèbre, mais difficile et long-temps méconnu par d’éminens esprits, a fait preuve tout à la fois de tact et de courage scientifique. Le sujet, en effet, était vaste et obscur ; au temps où vivait Proclus, les systèmes s’étaient confondus ; c’était, parmi les hommes que le christianisme n’avait point ralliés, une inquiétude immense, une singulière disposition à tout croire ; le monde romain empruntait à l’Orient

  1. Un volume in-8o, chez Ébrard, rue des Mathurins-Saint-Jacques.