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fers jusqu’à notre arrivée en France. » Le révérend ne répondit rien, et l’on passa outre. Jamais leçon ne fut plus complète.

Cependant, la Vénus partie, il essaya de prendre sa revanche, et berça de nouveaux contes l’esprit crédule des naturels. À le croire, les Français n’avaient qu’une seule frégate qui ne reviendrait jamais. La reine avait rendu une loi qui assurait à nos missionnaires l’accès de Taïti ; cette loi fut révoquée. L’Artémise apprit cela à Sydney et cingla à l’instant même pour Pape-Iti, afin d’inspirer de nouveau une terreur salutaire. Quand elle arriva, le révérend Pritchard était en tournée dans les îles voisines. Les avaries de la frégate ne permettaient pas de parler haut tout de suite : on attendit que les réparations fussent achevées. Alors le commandant Laplace fit inviter la reine et les principaux chefs à se réunir en conseil pour recevoir les propositions qu’il allait faire. À cette ouverture, une terreur générale se répandit dans l’île ; on crut d’abord que la reine résisterait, qu’elle n’obéirait pas. Mais le principal chef du pays, Tati, se porta garant pour elle, et le 19 juin, Pomaré-Wahine, souveraine de l’archipel, parut au grand conseil qui se tint dans le temple protestant. Un prodigieux concours de peuple obstruait les avenues. Dans la salle étaient rangés tous les chefs, et derrière eux plusieurs missionnaires. Le commandant français s’avança au milieu de l’assemblée, accompagné du consul, M. Moërenhout, et du capitaine Henri, qui lui servait d’interprète. Après avoir exposé ses griefs et qualifié sévèrement la violation du traité consenti avec le capitaine Dupetit-Thouars, il demanda : 1o que les Français fussent traités dans l’île à l’égal de la nation la plus favorisée ; 2o qu’un emplacement fût désigné pour la construction d’une église catholique, avec toute liberté aux prêtres français d’y exercer leur ministère. Quand ces propositions eurent été répétées à l’assemblée par l’interprète, le commandant se retira avec tous ses officiers.

Le congrès demeurait livré à lui-même ou plutôt aux inspirations du chef Tati. Tati était le vrai roi de l’archipel ; rien ne se faisait que par ses conseils. C’était un vieillard de soixante-douze ans, d’une constitution d’athlète, haut de six pieds, et admirablement proportionné dans ses formes. Tayo ou ami de M. Moërenhout, il avait su, durant le court séjour de la frégate, apprécier le caractère, la bravoure, la générosité de nos officiers, et il s’était pris pour eux d’une amitié véritable. L’influence française allait donc dominer dans le débat. Quelques chefs timorés avaient pris d’abord la parole, opinant pour une acceptation immédiate de l’ultimatum, quand Tati, jaloux de sauver la dignité de l’assemblée, monta à la tribune. À l’instant le plus profond silence