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conversations à perte de vue, et qui cherchent sans fin ni cesse les pourquoi infinis de la religion et de la société.

Cette disposition à chercher ainsi le mot des énigmes est naturelle à la jeunesse ; mais il y a des époques de l’histoire où cette disposition est plus fréquente encore. Dans les époques d’incertitude et de doute, quand les sociétés sont vieilles, quand tout le monde sent que beaucoup de choses vont mourir et que quelques-uns sentent aussi que quelque chose va naître, c’est alors surtout que je conçois entre jeunes amis les longues causeries et les longues promenades. L’amitié est bonne à ces époques de misère morale, car elle soutient et elle encourage les ames. S’il méditait solitairement sur les périls de la société, l’homme tomberait dans le désespoir. L’amitié empêche le découragement en rompant la solitude. Il y a assez de tristesse peut-être dans le monde pour accabler une jeune ame, quoiqu’il en faille beaucoup pour écraser le ressort d’une ame de vingt ans ; mais je défie le monde entier, quelque triste qu’il soit, fût-ce le monde romain au ive siècle, je le défie d’avoir assez de chagrins pour attrister à la fois trois ames de vingt ans : il y en aura toujours une au moins qui restera gaie, et celle-là égayera les autres ; c’est le privilége de la jeunesse. Il faut donc s’aimer entre jeunes gens : il faut s’aimer, quelle que soit l’époque du monde où vous viviez. Si vous vivez dans des temps de doute et d’incertitude, ayez des amis, afin de vous encourager à retrouver ensemble les vérités que le monde a perdues. Ayez des amis, si vous vivez dans des temps tranquilles et calmes, afin d’examiner avec eux les règles que le monde s’est faites et de les vivifier par un peu de controverse ; car si le doute tue la morale, la routine la tue aussi. Ayez des amis enfin, ne fût-ce que pour habituer l’esprit dans la jeunesse à se répandre, à se communiquer, afin que ce ne soit pas le cœur seul qui prenne cette habitude.

Ce que j’aime dans les Confessions de saint Augustin, c’est que ses amis ont tenu une grande place dans sa vie. Livré au doute et à l’incertitude, flottant sans cesse d’une secte à l’autre ; tantôt manichéen, tantôt stoïcien, tantôt épicurien, souvent sceptique et sentant bientôt que le scepticisme ne donne pas le repos qu’il promet[1], il a eu besoin, pour ne pas désespérer de lui-même, de voir ses amis partager ses doutes et ses anxiétés. J’aime à suivre ces trois amis dans

  1. Tenebam enim cor meum ab omni assensione, timens præcipitium et suspendio magis necabar.